Ils sont venus, ils sont tous là. En habit de gala ou en bleu de travail. Il y a là, réunis dans le même dressing et parmi beaucoup d’autres pièces, les costumes impeccables de Jérôme Cahuzac, la parka de Wauquiez (rhabillé pour l’hiver, par ailleurs), les chemisettes de Houellebecq, les mocassins de Jean d’Ormesson, autant d’habits qui ne font pas le moine, et que la journaliste isole et classifie en petites mythologies pour quotidien du soir. Entre ici donc Ariane Chemin, avec son étrange (et parfois un tantinet sinistre, tout de même) cortège. L’auteure de Mariage en douce (Les Equateurs, 2016) ou, voici quelques semaines, en collaboration avec Raphaëlle Bacqué, de La communauté (Albin Michel) a réuni quelques-uns de ses portraits, rencontres, reportages ou chroniques réalisés entre 2005 et 2018 pour le journal Le Monde pour les publier à la demande de son éditeur chez Robert Laffont, Jean-Luc Barré, en un volume. Elle lui a donné un titre plus intrigant qu’il n’y paraît: Toute une époque. Intrigant parce que justement, à la lecture, il n’apparaît plus très évident que la majorité de ces textes, tous équitablement passionnants, appartient encore à notre époque. Sont passés par là les attentats du 13 novembre 2015 et Emmanuel Macron, un nouveau monde peut-être, en tout cas sûrement un changement de paradigme, qui balaie le "casting national" de politiques, écrivains, "éditocrates" et autres, qui semblait pourtant aussi immuable qu’inexpugnable. Toute une époque se lira donc moins comme un "ici et maintenant" que comme une promenade avec des personnages déjà un peu sépia et presque échappés des pages d’un livre de Modiano. Voici Anne Pingeot la discrète, André Bercoff à qui l’imprécation ne rendra pas sa jeunesse, les nuits lilloises de DSK, trois jeunes gens qui, à l’université de Tolbiac, un jour des années 1980, se jurent de conquérir la France, et ne furent pas loin d’y arriver, Claude Lanzmann qui refuse la montée du soir et son ami Gérard de Villiers qui n’y consent pas plus.
Tout cela compose comme un tableau d’époque certes, une suite de polaroïds. S’en dégage surtout l’idée que ce début de siècle fut d’abord comme une danse de spectres, fascinante, terrifiante, et qui laisse à ceux qui l’ont vécu le regret et le soulagement que quelqu’un ait rallumé la lumière. Olivier Mony