La Foire du livre de Londres, qui devait se tenir du 10 au 12 mars à Olympia Hall, a été annulée. - Photo Anne-Laure Walter/LH
Coronavirus : le livre contaminé
Salons annulés ou reportés, imprimeries fermées, livraisons à l'arrêt, ventes de droits gelées... Même si les professionnels du livre tentent de rester positifs, le secteur est loin d'être épargné par l'onde de choc économique provoquée par l'épidémie de coronavirus. _ par Pierre Georges
Créé le
17.03.2020
à 15h18
Livre Paris 2020 n'aura pas lieu. « Dans un cas de force majeure, ce n'est pas nous qui décidons, mais le gouvernement », a commenté sobrement Vincent Montagne. Le président du salon et du Syndicat national de l'édition (SNE) a préféré annuler la tenue de la grande manifestation qui devait rassembler, du 20 au 23 mars, 450 éditeurs exposants, 3 000 auteurs de 50 pays dont l'Inde, invitée d'honneur, et plus de 160 000 visiteurs. Un symbole. Depuis que l'épidémie de coronavirus, partie fin janvier de la région de Wuhan, en Chine, est sortie des frontières de l'empire du Milieu, elle affecte peu à peu tous les secteurs de l'économie mondiale, sans épargner le livre.
Line Karoubi, directrice générale de Gallimard Loisirs.- Photo OLIVIER DION
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Salons chamboulés
« C'est triste parce que c'est un grand moment pour le Centre national du livre, réagit Vincent Monadé, son président. Livre Paris, c'est notre jardin. Cela représente énormément de travail sur toute l'année, une trentaine de rencontres, des ateliers. Mais le SNE a pris la décision qui s'imposait, avec l'intelligence de l'annoncer assez tôt pour que l'on évite les polémiques », ajoute-t-il.
L'exemple est suivi par de multiples manifestations professionnelles ou grand public en France, où le gouvernement a interdit les rassemblements de plus de 5 000 personnes dans des lieux confinés, comme à l'étranger. Au-delà des risques de propagation du virus, les organisateurs, craignant des fréquentations en forte baisse, ont enchaîné les annonces d'annulation ou de report (voir encadré). Après avoir dû faire face au retrait de la plupart des poids lourds de l'édition mondiale et des groupes français tels Editis, Hachette et la branche française d'HarperCollins, la Foire de Londres a annoncé, mercredi 4 mars, l'annulation de son édition 2020.
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« En raison de la situation sanitaire », le Bureau international de l'édition française (Bief) a quant à lui revu son programme du premier semestre, annulant notamment le fellowship de Paris 2020, prévu du 21 au 27 mars, ou reportant à une date inconnue ses Ateliers de la librairie francophone.
Chaînes d'approvisionnement grippées
Au-delà, de la production de -papier à la livraison des livres vers l'Europe en passant par la fabrication et l'impression, c'est l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement de l'édition qui est -affectée à sa racine par l'épidémie. Si beaucoup d'éditeurs ont rapatrié ces dernières années leurs activités -d'impression vers l'Europe, et notamment -l'Italie, -certains formats complexes sont -toujours, pour des raisons financières, réalisés en Chine où, pendant de longues semaines, les usines sont restées à l'arrêt complet. Les secteurs jeunesse et pratique sont les plus touchés.
Chez Gallimard, qui imprime une partie de ses livres jeunesse et de ses guides de voyage en Chine, on cherche à rester pragmatique et surtout positif. « Pas d'affolement, il ne faut pas être catastrophique. Nous parlons d'ouvrages qui auront peut-être un mois de retard, et nous sommes capables de trouver des solutions avec les Chinois. Pour rattraper le retard et pallier les problèmes d'image liés à l'épidémie, je pense qu'ils vont mettre les bouchées doubles pour rendre service aux clients », rassure Pascal Lenoir, directeur de la production du groupe, qui observe que les usines de papier et d'impression se remettent doucement en marche. Certaines emploient jusqu'à 15 000 personnes. Leurs ouvriers reprennent progressivement le travail, même si les effectifs pleins ne sont attendus, au mieux, que pour la fin du mois de mars. « Pour l'instant, rien de dramatique, seule une de nos collections sortira en mai plutôt qu'en avril. Mais la situation peut rapidement évoluer. Les usines sont restées fermées un mois, les ouvriers sont partis en laissant le travail en l'état. Leur retour est progressif », confirme Line Karoubi, présidente de Gallimard Loisirs et directrice du département illustré de la maison.
La situation reste cependant très confuse dans l'empire du Milieu. La date de réouverture intégrale de toute la chaîne d'approvisionnement demeure très incertaine en particulier à cause du blocage de certains ports et donc des retards de livraisons par bateau. « Nous sommes en train de regarder les impacts, de les évaluer et de voir si nous pouvons les pallier ou pas. Il y a encore beaucoup d'inconnues en fonction des usines, des villes, de l'avancée des commandes, du lieu où étaient les employés au moment du Nouvel an chinois, du parcours des camions et des bateaux... C'est une vraie usine à gaz », observe Pascal Lenoir, même si, ajoute-t-il, « heureusement, la Chine n'est pas l'Europe et la pompe peut se réamorcer à toute vitesse ».
Cet espoir est partagé chez Nathan jeunesse ou PlayBac, qui impriment aussi une partie de leurs ouvrages en Chine. Plusieurs éditeurs d'Hachette, tel Marabout, s'attendent à des retards d'approvisionnement de certains titres sans vouloir donner plus de détails sur la situation. À la direction d'Hachette-Phœnix, la coentreprise, basée à Pékin, dont le groupe français est actionnaire, on admet une « période très spéciale » sans vouloir s'épancher sur le sujet.
Ventes de droits gelées
Autre maillon de la chaîne du livre à souffrir, les ventes de droits, sont largement gelées en direction de la Chine, principal client de l'édition française. « Depuis le début de l'épidémie, les échanges avec les maisons chinoises sont ralentis car le travail a été arrêté pendant une longue période et parce que la plupart de nos interlocuteurs travaillent encore de chez eux », explique Dong Yan, la directrice générale de Dargaud Shanghai, la filiale créée par Media Participations en Chine où elle représente les catalogues de plusieurs maisons de bande dessinée du groupe. « Cependant, nous continuons à développer les projets avec les éditeurs locaux. Il est difficile de mesurer l'impact tout de suite, l'effet se produira dans l'année. Nous savons qu'il y a des libraires physiques qui sont en train de souffrir, qui risquent même de fermer leurs portes, cela affaiblira le marché », ajoute-t-elle. « Parfois, on se prend à croire à un scénario apocalyptique. Nous ne prenions pas ça au sérieux jusqu'à présent, mais nous envisageons maintenant de suspendre notre activité », confirme par ailleurs le gérant d'un café-librairie de Séoul, en Corée du Sud, deuxième pays le plus touché par le coronavirus.
L'agence Dakai, établie à Pékin et spécialiste de la vente de droits entre la France et la Chine, estime à 30 % sa perte de chiffre d'affaires au cours des deux derniers mois, par rapport à janvier-février 2019. « Comme beaucoup, mes collègues et moi travaillons à domicile. Les signatures de contrats et le paiement des droits d'auteur sont retardés. Les activités ralentissent, mais nous nous battons pour qu'elles ne s'arrêtent pas. Les éditeurs ne cessent de me demander de travailler sur de nouveaux titres en français », raconte l'agente littéraire Li Yizhi.
Curieusement, le marché des guides de voyage semble pour l'instant épargné alors que les réservations de voyages vers l'Asie sont en chute libre. « Il n'y a ni impact ni inquiétude pour l'instant car les voyages en Asie se font plutôt en hiver, donc nos ventes sont déjà faites, rassure Gavin's Clemente Ruiz, secrétaire général au Guide du Routard. Les gens annulent leurs voyages en Asie et partent moins loin, en Europe. C'est là qu'on voit la force de la bonne répartition de nos collections. »
« Les autres effets négatifs du virus surviendront plus tard, estime Li Yizhi. De nombreux livres qui devaient sortir en février sont repoussés. Les librairies chinoises souffrent et luttent pour survivre. Pour nous comme pour tout le secteur cela signe des pertes de revenus », ajoute l'agente. Et de citer pourtant quelques signatures de beaux contrats pour le marché chinois. Un exemple ? L'essai de Patrice Debré et Jean-Paul Gonzalez publié en France par Odile Jacob. Son titre : Vie et mort des épidémies... W
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Par
Élodie Carreira
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