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Controverse autour d'un prix littéraire vénézuélien

Nicolas Maduro, le président vénézuélien - Photo domaine public

Controverse autour d'un prix littéraire vénézuélien

Les jurés du prix Romulo-Gallegos, qui doit être attribué cette année pour la première fois depuis 2015, sont accusés de complaisance avec le régime de Nicolas Maduro.

Par Nicolas Turcev
Créé le 13.08.2020 à 15h01

Vargas Llosa, Garcia Marquez, Bolaño...: la liste des gagnants du prix vénézuélien Romulo-Gallegos se lit comme un répertoire des grands écrivains hispanophones. Mais le débat autour de son attribution en novembre se teinte de politique, entre auteurs opposés à la "dictature" et autorités chavistes.

Décerné en théorie tous les deux ans, le Romulo-Gallegos, baptisé d'après un romancier et homme d'Etat vénézuélien, a eu un lustre inégalé dans le monde des lettres espagnoles et latino-américaines. Attribué pour la première fois en 1967 au Péruvien Mario Vargas Llosa (prix Nobel de Littérature 2010), "il a acquis rapidement un très grand prestige parce qu'il est devenu le prix du boom", note pour l'AFP Gustavo Guerrero, éditeur du domaine hispanique aux éditions parisiennes Gallimard.

Le "boom", c'est cette parenthèse dorée du Venezuela des années 1960 et 1970, lorsque la rente pétrolière permettait à Caracas d'être parmi les premiers de la classe latino-américaine en économie. "C'était l'époque de la démocratie libérale", explique Gustavo Guerrero, natif de Caracas. Le Romulo-Gallegos est alors attribué à des auteurs plus prestigieux les uns que les autres : le Colombien Gabriel Garcia Marquez (1972) ou le Mexicain Carlos Fuentes (1977).

Première attribution depuis 2015

Les choses se gâtent vers la fin du premier mandat du défunt président Hugo Chavez (1999-2013), car, poursuit Gustavo Guerrero, en 2005 "le gouvernement vénézuélien est intervenu dans la formation du jury". Cuba, allié indéfectible du président Chavez, a même "imposé des membres du jury. A partir de là, on a senti que le prix était en train de perdre son autonomie".  

Quinze ans plus tard, le prix Romulo-Gallegos doit de nouveau être attribué, pour la première fois depuis 2015. Et comme à chaque fois désormais, la bourrasque des critiques l'emporte sur l'enjeu littéraire. Pour le romancier vénézuélien Rodrigo Blanco Calderon, qui vit en Espagne, le prix n'est plus qu'"un instrument de propagande et de légitimation de la dictature chaviste".

Pour étayer ses accusations, le jeune écrivain cite les "massacres" d'étudiants lors de manifestations anti-chavistes en 2014 et 2017, "l'exode massif" des Vénézuéliens ou encore le rapport de Michelle Bachelet, la Haut-Commissaire de l'ONU aux droits de l'Homme qui s'est alarmée de l'"érosion de l'Etat de droit" au Venezuela dans un rapport l'an dernier.

Un prix "né politisé"

De quoi refuser un chèque en blanc aux jurés du Romulo-Gallegos "qui sont tous affiliés au chavisme, d'une manière ou d'une autre", explique Blanco Calderon à l'AFP.  Avec d'autres écrivains, vénézuéliens surtout, il a appelé ses collègues auteurs à ne pas se prêter à cette "farce". "Il n'y a qu'à voir la liste des oeuvres en compétition pour se rendre compte que le prix Romulo-Gallegos est devenu un hôtel pour touristes de la dictature chaviste", a-t-il écrit sur Twitter au sujet des oeuvres en lice, dont celle de l'Argentin Rodrigo Fresan.

Depuis, les désistements se sont enchaînés. Comme celui de Maria Perez-Talavera, une écrivaine vénézuélienne en exil. Elle a retiré son livre Eran de madera pour ne pas devenir "l'instrument d'une plateforme littéraire politisée". Cette offensive n'a pas plu au Centre d'études latino-américaines Romulo-Gallegos (Celarg) qui attribue le prix. "Le prix est né politisé", s'est-il défendu dans un communiqué intitulé "Trumpisme culturel".

Donald Trump cible des critiques

Etrangement, en effet, le texte s'en prend surtout au président américain Donald Trump qu'il accuse d'"agression" en pleine pandémie de coronavirus. Et de citer un questionnaire que le quotidien d'opposition El Universal aurait envoyé aux écrivains en compétition portant sur le "déclin de prestige" du prix en raison de ses liens avec le régime chaviste".

L'un des membres du jury, l'écrivain colombien Pablo Montoya (gagnant du prix en 2015), a réagi, lui, dans une tribune publiée mardi sur le site du quotidien de son pays, El Tiempo. "Il est faux de dire que nous, jurés et candidats, sommes les pauvres pions d'un régime", s'est-il insurgé.

Un peu moins de 200 écrivains sont en lice, mais certainement pas la Vénézuélienne Karina Sainz Borgo. "Je ne vais pas légitimer un régime qui n'est pas démocratique", dit à l'AFP l'auteure de La fille de l'Espagnole (Gallimard). Et, poursuit-elle, avec le trou béant dans les finances de l'Etat vénézuélien, "je ne suis même pas certaine qu'ils aient de quoi payer le prix", doté d'environ 80000 euros.

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