Comment faire lire les jeunes ? Véritable serpent de mer, la question obnubile les professionnels depuis des décennies. Cette année encore, le Centre national du livre (CNL) et l'institut de sondage Ipsos ont documenté le rapport des jeunes de 7 à 25 ans à la lecture (1). Les conclusions de l'étude sont plutôt de bon augure : 81 % des Français de 7 à 25 ans lisent pour leurs loisirs. En excluant les élèves en école primaire de l'échantillon, ils restent tout de même 77 % qui lisent en moyenne quatre livres pour le plaisir. Et seuls 16 % affirment ne « pas trop » aimer ou « détester » lire. « Ces conclusions s'inscrivent en faux contre les discours déclinistes sur la supposée dégringolade du niveau des jeunes et de leur désintérêt pour la culture écrite », apprécie la toute nouvelle directrice de l'association Lecture Jeunesse, Anne Berland.
Autre motif de réjouissance : l'effet du Pass Culture. Généralisé en mai 2021 à l'ensemble des jeunes de 18 ans, et étendu au 15-17 ans au 1er janvier 2022, le dispositif lancé par Emmanuel Macron a très largement bénéficié au livre. Selon une étude dévoilée à l'occasion de l'inauguration du Festival du livre de Paris fin avril, 29 % des utilisateurs avaient affirmé « ne pas lire de livres » avant l'activation de leur Pass. Or, ils sont 86 % à avoir profité du dispositif pour réserver au moins un ouvrage. Le manga a fortement tiré parti du dispositif, représentant plus de la moitié des réservations de livres. Mais, porte d'entrée vers la lecture, le manga a attiré 49 % des utilisateurs vers d'autres genres littéraires. Le Pass Culture a aussi permis à 30 % des jeunes de pousser la porte des librairies indépendantes et 45 % se montrent désormais intéressés par un abonnement en bibliothèque ou médiathèque. Les jeunes, dans une acception très large, lisent ou semblent avoir envie de lire.
Décrochage à 12 ans
Mais l'étude du CNL souligne également un phénomène moins enthousiasmant : celui d'un décrochage de la lecture loisirs à partir de 12 ans. Ce décrochage est davantage visible chez les garçons (-21 points) que chez les filles (-12 points). Comment l'expliquer ? Selon la sociologue Christine Détrez, il existe plusieurs raisons. Le « poids des stéréotypes de la fille lectrice, plus axée vers la sphère privée que les garçons », « l'importance de l'exemple parental » qui est « fortement féminin » ou encore une « féminisation des prescripteurs/médiateurs de la lecture [qui] peut rendre difficile son appropriation par les garçons » (2).
Pour tenter d'enrayer le déclin de la lecture chez les adolescents, il faudrait « aller chercher les jeunes sur leurs terrains, en se montrant inventifs pour leur permettre de lire, comme ils veulent quand ils veulent, grâce à une lecture vivante qui soit une véritable expérience », note le CNL en conclusion de son étude. L'organisme a d'ailleurs lancé le 21 avril la campagne #jeliscommejeveux sur les réseaux sociaux dans laquelle 18 personnalités françaises s'engagent en faveur de la lecture.
« Nous, acteurs du livre et de la lecture, devons accepter de changer de posture et être moins dans une culture de l'expertise ou de la prescription que dans une culture de l'expérience et du recueil de besoins auprès des jeunes », fait valoir Anne Berland. « C'est-à-dire s'intéresser vraiment à leurs pratiques culturelles, dépasser nos représentations, sortir des idées reçues et ainsi parvenir à rendre les lieux de lecture plus accueillants pour les adolescents, tant physiquement que symboliquement », précise-t-elle.
Jongler avec les écrans
Les professionnels doivent notamment apprendre à jongler avec les écrans pour séduire les jeunes. Entre adaptations sur Netflix et autres plateformes ou communication ultra-ciblée sur les réseaux sociaux, les écrans, de toute taille, peuvent en effet se révéler être un formidable relais littéraire. Selon l'étude du CNL, 29 % des 7-25 ans choisissent un livre après en avoir entendu parler sur la Toile. Et 58 % affirment avoir déjà eu envie de lire un livre, après avoir vu, sur une plateforme, un film ou une série qui en était tiré.
Déjà largement expérimentée par les enseignants, la lecture à voix haute peut aussi constituer une piste supplémentaire d'accrochage. En considérant cette expérience comme égale à la lecture. « J'encourage mes élèves à écouter les classiques en livre audio, ce qui les étonne. Je leur explique que c'est une façon d'entrer dans les œuvres et cela soulève souvent des blocages », indique Élodie Pinel, professeure de lettres en lycée.
Les heures du conte, nombreuses en bibliothèques pour les tout-petits, peuvent également intéresser les ados. À l'image de ce qu'a institué Magalie Bossuyt, professeure-documentaliste, dans son CDI : « J'organise des siestes contées au cours desquelles les jeunes font preuve d'une écoute extraordinaire », affirme-t-elle. L'étude du CNL souligne aussi cette nouvelle appétence : seuls 15 % des collégiens avaient déjà écouté un livre audio en 2016. Ils sont aujourd'hui 34 %.
Déscolariser le livre
Dans tous les cas, les adolescents, biberonnés aux communautés virtuelles et aux recommandations de leurs pairs, auraient besoin d'envisager la lecture autrement que comme une activité solitaire. La lecture doit devenir une activité collective. Elle doit être « sociale, contemporaine, voire sexy », confirme la consultante indépendante en communication Eliette Lévy-Fleisch. « Il faut déscolariser le rapport au livre pour le rendre plus vivant », appuie de son côté Françoise Cahen, professeure de lettres en lycée. Les enquêtes PISA signalent d'ailleurs qu'en France, on lit moins par plaisir que dans d'autres pays européens. C'est aussi le conseil de bon sens délivré par Romane, 14 ans, lectrice boulimique et depuis peu bookstagrameuse. « La lecture ne doit plus avoir son image d'activité scolaire obligatoire », dit-elle, regrettant qu'il n'y ait pas « de livres vus comme stylés, à l'image d'une marque de fringues ».
(1) « Les jeunes Français et la lecture », mars 2022.
(2) Christine Détrez et Fanny Renard. «"Avoir bon genre ?" : les lectures à l'adolescence », Le français aujourd'hui, vol. 163, no. 4, 2008, pp. 17-27.