Avant-critique Récits

Collectif, "Sous nos regards. Récits de la violence pornographique" (Seuil)

Une petite partie du collectif Sous nos regards (de haut en bas et de gauche à droite) : Marine Bachelot Nguyen, Christelle Taraud, Pauline Delabroy-Allard, Agnès Vannouvong, Nadège Cathelineau, Alice Géraud, Hélène Devynck, Adélaïde Bon, Ixchel Delaporte, Stéphanie Khayat et Carole Fives. - Photo © Astrid di Crollalanza/Seuil

Collectif, "Sous nos regards. Récits de la violence pornographique" (Seuil)

Ces récits coécrits en binôme par quinze plaignantes de procès à venir et par quinze journalistes et écrivaines témoignent des facettes d'un système pornocriminel ultraviolent encore trop ignoré.

Parution 11 avril

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Par Marie Fouquet
Créé le 16.04.2025 à 14h00

Porno barbarie. À l'approche de deux grands procès sur les violences du système pornocriminel qui vont se dérouler courant 2025 et 2026 - les affaires French Bukkake et Jacquie et Michel -, « ce livre est [un] manifeste sorore de défense légitime ». Coécrit en binôme par quinze plaignantes et quinze écrivaines et journalistes (parmi lesquelles Hélène Devynck, Carole Fives, Diaty Diallo...), Sous nos regards révèle les abominables coulisses de tournages de films porno qui se sont déroulés ces dix dernières années, et revient sur les conséquences physiques, psychologiques et sociales subies par les victimes.

Ces récits, souvent insoutenables, déplacent les points de vue et les projecteurs de cette industrie mortifère. Celles qui ont été réifiées au point d'être absolument réduites à des « morceaux de viande », offertes à des meutes de « chiens » qui ont la liberté totale de pratiquer ce qui leur passe par la tête, jusqu'à la torture, prennent ici la parole. On y découvre les histoires souvent chaotiques des victimes, dont la vulnérabilité est le premier critère de sélection. De la fille gentille dont le premier amour la prostitue sous couvert de lui faire découvrir le libertinage à celle qui a besoin de gagner rapidement de l'argent pour payer son loyer et éviter l'expulsion, toutes les femmes qui s'expriment ici font le témoignage de crasses manipulations : de nombreuses pratiques n'ont pas été annoncées au préalable ; les contrats et les rémunérations sont bien souvent fictifs ou modifiés au cours du processus voire annulés ; la diffusion des images est beaucoup plus large que ce qui avait été négocié, exposant ces femmes à un public qu'elles peuvent être amenées à croiser à tous les coins de rue. On y découvre aussi l'horreur des discours prononcés par les hommes qui ont orchestré, mis en scène et réalisé des scénarios proches de la barbarie. La façon complètement assumée dont ces hommes mentent, abusent, humilient et détruisent ces femmes est glaçante. La journaliste Lorraine de Foucher, qui travaille sur l'affaire French Bukkake, parle de « guerre [menée] contre les femmes » à travers ces réseaux pornographiques, et de leur volonté, au-delà même du profit qu'ils en tirent, de les anéantir. Elle relève un leitmotiv révélateur dans les échanges entre des membres du réseau : « Vous la niquez, vous niquez sa vie. » Tel est le but. Les appellations mêmes de ces vidéos le prouvent déjà : il s'agit de regarder et de prendre plaisir à « défoncer » les « cum bags », les « chiennes », les « cochonnes », les « slaves », les « bitches ». Loin de la représentation du désir ou du fantasme sexuel, c'est la haine et la violence qui apparaissent comme premiers guides dans cette industrie, à la fois pour ceux qui la créent, mais aussi pour ceux qui y participent comme acteurs - certains bénévolement - et a fortiori comme spectateurs.

Sous nos regards entend faire découvrir la réalité des conditions de tournage et de diffusion de ces vidéos, à l'heure où 35,63 millions de personnes ont regardé au moins un porno en une seule année en France.

Collectif
Sous nos regards. Récits de la violence pornographique
Seuil
Tirage: 5 400 ex.
Prix: 22 € ; 304 p.
ISBN: 9782021577280

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