Essai/France 10 janvier Martin Page

« Jouissons sans entrave » est un slogan fameux de Mai 1968 claironnant la mise en branle de la Révolution sexuelle. Aujourd'hui c'est sans tabou, l'hédonisme est partout. Dans la publicité surtout : de la voiture au yaourt, un seul principe, outre celui de faire acheter : le plaisir. Qui dit plaisir dit sexe, et qui dit sexe dit coït, pénétration.

Auteur jeunesse et aussi pour grands, Comment je suis devenu stupide (Le Dilettante, 2000), De la pluie (Ramsay, 2007), L'apiculture selon Samuel Beckett (L'Olivier, 2013), L'art de revenir à la vie (Seuil, 2016), Martin Page est connu pour sa prose au tracé poétique et décalé - une ligne claire au camaïeu entre joie enfantine et grisaille existentielle. Voici qu'il se lance dans une veine plus polémique avec un manifeste intitulé Au-delà de la pénétration et prend à bras-le-corps la question des rapports intimes et celle de l'injonction d'intromission qu'ils impliquent. La société nous impose un puritanisme à l'envers, de « pas avant le mariage » on est passé à « il faut baiser à tout prix. » L'amour à la Page, c'est coitus non obligatus. Parce que « nous faisons mine de croire à la subversion, nous prenons des airs amusés et excités, mais le conservatisme règne, nous répétons ce dont nous avons hérité, sagement nous reproduisons les mêmes chorégraphies ».

Sorti de manière ultra-confidentielle, Au-delà de la pénétration reparaît sous couverture neuve au Nouvel Attila. Son auteur pose le sujet d'emblée : « Y a-t-il des pratiques obligatoires ? Si dans un couple, la pénétration (ou toutes autres pratiques sexuelles) n'était pas (ou plus) possible (ou pas ou plus souhaitée), est-ce que serait vraiment une tragédie ? » Martin Page précise d'où il parle, mâle « hétérosexuel et cis » [sic, abréviation de « cisgenre », à savoir dont la sexualité et le genre correspondent au sexe biologique]. La pénétration, il n'est pas contre, au contraire : « J'aime l'acte de pénétrer. J'en retire un grand plaisir. C'est très ohmondieuwaouwawaaa. » Mais l'auteur des Animaux ne sont pas comestibles ne prend pas ladite nature pour argent comptant, c'est vrai que la pénétration est commode et a tout pour plaire, « cet emboîtement bien pratique rappelle les jeux de construction. [...] L'être humain aime l'ordre on l'a éduqué à ça. » Et l'ordre c'est le patriarcat, la domination masculine, doublée en nos temps d'ultralibéralisme d'idée de performance. Suivi de témoignages de femmes et d'hommes, souffrant parfois de pathologies sexuelles (problèmes érectiles, vaginisme), ou confiant leurs pratiques alternatives (masturbation mutuelle) ou fantasmes (désir d'être pénétré par sa partenaire), cet essai soulève des questions on ne peut plus pénétrantes !

Martin Page
Au-delà de la pénétration - Dessins de Sandrine Bonini
Le Nouvel Attila
Tirage: 6 000 ex.
Prix: 12 euros 160 p.
ISBN: 9782371000926

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