Portrait du pianiste en animal. Avec Il neige sur le pianiste, Claudie Hunzinger, Prix Femina 2022 pour Un chien à ma table (Grasset), nous plonge dans l'histoire un peu délirante d'une vieille romancière retenant chez elle un jeune musicien. La narratrice vit seule dans une maison isolée dans la forêt. Guidée par « l'impression que les mots se nourrissent des choses », elle collectionne ceux-ci pour traduire son environnement, dont elle imite les sons et les mouvements par l'écriture. Claudie Hunzinger s'amuse ainsi avec la typographie pour figurer la mélodie des éléments naturels, des animaux, des vents, de la végétation, soit par le biais d'onomatopées, soit par la disposition graphique de caractères spéciaux. « Ma maison sursautait, tchrrttttt tchrrttttt, sous le vent du nord, celui qui siffle, fsiii fsiii fffsssssiiiiiiiiiiiiii, et qui d'un coup, depuis la fissure entre une panne de toit et un liteau, lance vers moi un immense pffffissiissssiiiiiiiiiiii, tel un lasso, un rire, une balafre. » Depuis quelques jours, un renard lui rend visite au crépuscule. Elle lui laisse de quoi manger, le soigne, sans vouloir non plus le rendre dépendant...
Puis cette soirée arrive enfin, où débarque chez elle le jeune musicien avec lequel elle entretient une correspondance - et sur lequel elle nourrit un certain fantasme - depuis leur rencontre à un concert. « J'ignorais encore que le musicien venait également de tomber dans le cercle magique annoncé quelques minutes plus tôt par le renard, qu'il s'agirait d'un bizarre roman d'amour, qu'il en serait le personnage, et qu'avec le renard ça en ferait deux, et que jusqu'à la fin je ne saurais pas lequel des deux j'allais aimer le plus. » Poussée par une folle « envie de désirer », soutenue par une neige qui ne s'arrête de pas de tomber et bloque les accès aux routes, la romancière passe à l'action, réalise ce qu'elle imagine depuis des semaines : faire en sorte de garder chez elle cet animal fabuleux, ce pianiste quadragénaire, pendant dix jours. Le temps de pouvoir observer, approcher, apprécier ce jeune homme endormi, en balade, à table, au clavier... « Manifestement, c'était très intime. Il ne jouait pas, il se battait. Dommage de ne pas avoir le droit de suivre la bataille, le mouvement de ses pattes, le jeu de ses dents, leur toucher délicat, aigu, leur morsure mordant dent à dent les touches d'ivoire qui giclent. »
La romancière dessine le portrait du musicien sous les traits d'un être sauvage en parfait accord avec le paysage enneigé où il se réfugie un moment. Ce qui les relie se multiplie au fur et à mesure qu'ils se révèlent l'un à l'autre et bientôt ils découvrent leur caractéristique commune la plus forte, « le personnage caché » de cette belle histoire : la solitude. L'un parce qu'il se déplace continuellement entre divers coins du monde pour donner des concerts, l'autre parce qu'elle vit dans un environnement sans hommes. « J'avais toujours rêvé de ça, parler d'un renard dans une de mes histoires. » Un roman en forme d'extraordinaire petite fable.
Il neige sur le pianiste
Grasset
Tirage: 12 000 ex.
Prix: 19,50 € ; 224 p.
ISBN: 9782246838623