Livres Hebdo : En septembre dernier, vous annonciez la fermeture de deux librairies Furet du Nord situées à Villeneuve d’Ascq et à Roubaix, ainsi que de trois Decitre (Grenoble, Annemasse et Bezons). Pouvez-vous revenir sur les motifs qui vous ont conduit à envisager ces fermetures ?
Christophe Desbonnet : Il s’agissait de cinq magasins structurellement déficitaires. Nous avons fait notre possible pour qu’ils puissent retrouver le chemin de la rentabilité. Mais la fermeture de certains d’entre eux est liée à une fragilité structurelle de la librairie, amplifiée par un marché stagnant, voire en régression, avec des charges qui explosent. C’est d’ailleurs un phénomène qui touche toutes les librairies de France et de Navarre. C’est pourquoi nous avons donc engagé un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE), pour que les collaborateurs concernés bénéficient d’un accompagnement légal.
Trois magasins sauvés sur cinq
Le 10 décembre, vous annonciez finalement qu’à la suite de négociations, les deux Furet du Nord et le Decitre de Grenoble seraient épargnés. A quelles conditions ?
Concernant le Furet du Nord de Villeneuve-d’Ascq, nous avons travaillé avec notre bailleur, qui est celui du centre commercial V2, sur des solutions qui permettent de poursuivre l’exploitation du magasin en réduisant sa taille. Le magasin, qui bénéficiait jusque-là d’une surface de 1800 m2, déménagera donc dans un local de 1200 m2, toujours dans le centre commercial. Pour Roubaix, nous avons également travaillé sur une réduction de surface et un déménagement, cette fois avec la Société des grands magasins (SGM). Ce sera un peu différent pour la librairie Decitre à Grenoble, puisque nous n’avons pas réussi à négocier avec le bailleur privé. Suite à nos échanges avec la SGM, celle-ci a proposé le montage d’un projet identique à celui du Furet du Nord de Reims, qui occupe le dernier étage des Galeries Lafayette. Le magasin de Grenoble va donc, à son tour, déménager et s’adosser à cette enseigne qui génère 25 millions de visites par an. Ces aménagements devraient être effectués avant l’été.
Mais ce plan de sauvetage ne concerne pas tout le monde puisque les librairies Decitre d’Annemasse et de Bezons vont fermer leurs portes. Combien de suppressions de postes cela implique-t-il ?
Le contexte était différent pour les Decitre d’Annemasse et Bezons. Le magasin de Bezons, ouvert depuis environ un an et demi, aurait dû être entouré d’une mixité de logements et d’enseignes. Mais le plan de merchandising initialement prévu n’a pas abouti. Quant à Annemasse, il s’agissait d’une petite surface qui subissait des charges élevées. Situé à la frontière suisse, le magasin pouvait attirer une clientèle à fort pouvoir d’achat mais nous peinions à recruter du personnel. Nous ne pouvions pas aligner les rémunérations sur celles de la Suisse. Aujourd’hui, grâce au PSE, la soixantaine de collaborateurs qui aurait dû être touchés par les fermetures est divisée par deux et nous travaillons au reclassement d’un maximum d’entre eux.
« Notre mission est de défendre la lecture »
Vous avez également annoncé une réorganisation du groupe. Pouvez-vous nous en dire davantage ?
Nous avons d’abord mis en œuvre un plan stratégique sur trois à cinq ans. Nous sommes une entreprise à mission et la nôtre est de défendre la lecture. Il nous a donc fallu travailler en ce sens. Historiquement, le groupe s’est développé grâce à une croissance organique, c’est-à-dire en ouvrant des magasins. Mais il est de plus en plus difficile de faire du chiffre à partir de cette forme de croissance. Nous devons désormais travailler sur nos actifs actuels et rénover notre marque. Nous allons donc changer de schéma logistique. L’entrepôt de Lamnay (Sarthe), qui concentrait les ouvrages d’occasion, va être fermé et le stock va être transféré chez le prestataire qui gère déjà les livres neufs.
Nous allons aussi accompagner et former nos équipes pour atteindre ce que nous appelons « l’excellence opérationnelle ». Un pôle « relation clients » va être créé à Ivry, tandis qu’un pôle « expérience clients » et un nouveau service d’approvisionnement seront mis en place à Tourcoing. Ensuite, nous allons développer notre site internet, qui devrait être refait à neuf au début de l’année, pour encourager le click & collect, donc le trafic en magasin. Enfin, nous prévoyons de rénover l’ensemble de nos magasins d'ici à quatre ans.
Appels d’offre et marché d’occasion
Le groupe Nosoli est un groupe dit multi-enseignes. Mais vous développez aussi une activité BtoB. Va-t-il, là aussi, y avoir des changements ?
En effet, nous souhaitons également hypertrophier ce pôle qui, aujourd’hui, ne s’adresse qu’aux bibliothèques et aux collectivités, pour développer une offre de services à destination des acteurs de la librairie. Par exemple, nous envisageons de nous adosser à une librairie locale pour répondre aux appels d’offres des médiathèques. De cette manière, ce libraire recevra non seulement un pourcentage du total des ventes, mais il récupéra également 100% de tous les achats que la bibliothèque réalisera au sein de la librairie.
Qu’est-ce que le groupe Nosoli y gagne ?
Cela nous permet de remporter des appels d’offre que nous n’aurions pas été en position de remporter sans implantation locale. De la même façon, nous souhaitons développer notre activité sur le marché du livre d’occasion. En 2022, nous avions récupéré l’activité de vente en ligne de l’enseigne Chapitre, ce qui nous a permis d’internaliser la gestion du livre d’occasion. Aujourd’hui, nous sommes en capacité de proposer aux acteurs du marché une solution pour l’achat et la reprise du livre d’occasion. Nous souhaitons nous associer avec des librairies volontaires pour accepter des reprises. Lorsque le client dépose son livre, il reçoit alors un bon d’achat que le groupe Nosoli finance, et qu’il peut de nouveau dépenser dans cette librairie. Cela permettrait donc au libraire de bénéficier d’un achat supplémentaire, tandis que nous récupérons un stock éditorial de qualité.
Que faites-vous des inquiétudes de l’inter-profession qui considère le marché d’occasion comme une menace pour celui du livre neuf, mais aussi pour l’auteur, qui ne perçoit aucune rémunération sur la revente ?
En réalité, le poids du livre d’occasion est marginal. Il ne va pas tuer le livre neuf, à moins de jouer l’inter-classement peut-être. Mais c’est un procédé que nous refusons dans nos Decitre et nos Furet du Nord, puisque nous sommes avant tout un vendeur de nouveautés. Lorsque nous avons commencé à travailler sur le modèle, nous nous sommes rapprochés de la Sofia et j’ai proposé à son directeur un abonnement volontaire. Évidemment, sans auteur il n’y a pas de livre ni de lecture, c’est pourquoi nous avons proposé de reverser aux auteurs un pourcentage du chiffre d’affaires généré par le livre d’occasion.