Qui l'eût cru ? Qui eût cru que l'un des plus fins lettrés de ce temps, respectable professeur de lettres à la retraite, réfugié en son antre bordant le jardin public de Bordeaux, entre ses bibliothèques et ses souvenirs, cette manière de Mario Praz viscontien, était en fait un bon petit diable n'aimant rien tant qu'être sous le soleil exactement, la douceur alanguie des plages d'Aquitaine (et quelques autres aussi dont il a les usages les plus divers) ?

Jean-Marie Planes (le cachottier en question) sait d'instinct que la vérité d'un homme est d'abord celle de ses secrets. De livre en livre, il n'a au fond pas d'autre sujet. Secrets de famille, secrets de la foi, secrets de la ville natale, secrets des horizons lointains... Dans Une vie de soleil, qui fait suite, en matière d'autobiographie rêveuse et à la marge, au merveilleux Chemin de Macau (Arléa, 2017), il ne se livre nullement à quelque « coming out » hédoniste que ce soit. Il n'ignore pas que le plaisir comme l'élégance ne se revendiquent pas, ils s'éprouvent. Ce dont il est question ici, en ces pages serties d'une mélancolie douloureuse et fertile, est bien plus subtil que cela. C'est la vérité d'un homme, rendu à lui-même, rendu à la possibilité même différée du bonheur (ou au moins de la joie), sur les plages d'Arcachon ou de Biarritz, de Lacanau ou au bord du lac d'Hossegor, d'Ibiza et jusqu'à celle, souillée à jamais du sang de Pasolini, d'Ostie. Planes a le sens de la scène et le goût très proustien, sans s'épargner jamais d'en souligner parfois l'absurde ou le ridicule. Ainsi on n'oubliera pas une scène de dîner avec Marie Laforêt ou ce très célèbre scientifique (l'auteur a l'élégance narquoise de n'en laisser que deviner le nom) sur une plage basque et naturiste, sacrifiant au baise-main dans le plus simple appareil.

Surtout, ce qui demeure de ce livre et qui serre le cœur, c'est l'écho parfois, dans le soir et venu du large, de ce que Frederic Prokosch appelait «  le murmure des voix dans la nuit  ». Une sœur, un père, un ami perdu et les plages deviennent alors comme les tombes de pharaons d'un vieil enfant pour qui, finalement, la promesse du monde n'aura pas été tenue. N'empêche, l'exercice aura été profitable.