Il faut appeler un chat un chat ! Mais comment fait-on quand le chat n'existe pas vraiment ? En fait, ce matou matois figure dans une célèbre expérience de pensée imaginée par Erwin Schrödinger en 1935. Le physicien autrichien, prix Nobel, voulait expliquer aux profanes de la mécanique quantique la superposition des états ou comment une chose peut être et ne pas être simultanément. Il avait lui-même transposé dans sa vie privée ce principe de superposition, puisqu'il eut deux femmes simultanément...
Pour sa démonstration scientifique, Schrödinger a enfermé le greffier dans une boîte où un dispositif assez cruel peut le faire passer de vie à trépas en fonction du bon vouloir des particules. Depuis près de quatre-vingt ans, ce chat a fait délirer pas mal de monde. Philippe Forest s'engage donc à son tour dans la course au satané minet avec la liberté de l'écrivain.
L'auteur de L'enfant éternel (Gallimard, 1997) et du Siècle des nuages (Gallimard, 2010) indique qu'il s'agit d'un roman. En effet, c'est bien son roman, mais ce n'est pas son chat puisqu'il n'appartient à personne. Donc, nous sommes quelque part, un soir. Un homme, plus très jeune mais pas encore vieux, sirote un whisky et fume un cigare. Il est dans le jardin d'une maison près du bord de mer. Dans la pénombre, il croit apercevoir un minet. Mais est-ce vrai ? "On ne sait jamais quand une histoire débute."
Commence alors une fugue sur le thème de la réalité, des mondes parallèles et du probable. Avec virtuosité, Philippe Forest joue sur les différents motifs. Il utilise tous les registres - confidence, démonstration, hésitation, folie - pour cacher une terrible absence. C'est moins la quête du chat que le souvenir d'une jeune fille morte - la sienne - qui donne à ses nuits des couleurs blanches. L'animal n'est qu'un prétexte pour dire que les êtres aimés peuvent ne plus être là tout en étant là encore. "On croit raconter une histoire et c'est une autre qu'on raconte à la place." Une belle image de ce temps sur lequel Philippe Forest travaille de livre en livre. "Je pense souvent à ce qu'aurait pu être ma vie, autrement."
Quelque part, du côté de Borges et de Lewis Carroll, le romancier raconte le monde. Non pas le monde tel qu'il est, mais le monde comme quelque chose de possible, quelque chose qui advient, comme ce satané minou qui s'obstine à ne pas vraiment être et à constamment brouiller les pistes. Ce chat virtuel, qui venge à lui seul tous les vrais qui ont fini en bouillon dans les restaurants chinois, sert de subterfuge pour une méditation tour à tour grave, poétique et drôle sur les mystères du monde et de l'écriture.
Dans sa dédicace, Philippe Forest demande pardon aux scientifiques. Ce sont eux qui devraient le remercier