Présente à la Publishers Conference de Sharjah (Emirats arabes unis) pour un échange avec Porter Anderson de Publishing Perspectives, la directrice du digital du groupe HarperCollins Chantal Restivo-Alessi a partagé sa vision des enjeux de l'industrie éditoriale, notamment dans le numérique en évoquant une approche de « glocalisation », concept visant à adapter au contexte local des produits venus d'ailleurs. Une stratégie dont elle avait déjà fait part à Livres Hebdo lors de sa venue à la Foire de Francfort au début du mois dernier.
Livres Hebdo : Comment se porte HarperCollins ?
Chantal Restivo-Alessi : Selon les pays, nous sommes dans le Top 10 des éditeurs (comme en Espagne et au Brésil) ou le Top 20 (comme en France, en Allemagne ou en Italie)… Nous fêtons les dix ans de notre développement international avec l’acquisition d'Harlequin en 2014, ce qui a représenté 100 millions de dollars de revenus supplémentaires en dix ans.
Vous êtes le 10e groupe d’édition au monde en 2024 d’après le classement Global 50 que coorganise Livres Hebdo, ou le troisième derrière Penguin Random House et Hachette si on se concentre sur l’édition littéraire. Est-ce la bonne solution d’être présent dans autant de pays plutôt que de se concentrer sur un certain nombre de territoires comme le font vos principaux concurrents ?
Tout part des auteurs ! Nous avons de nombreux auteurs qui ont un succès international et nous voulons être à même de travailler avec eux sur leurs différents marchés. C'est ce qu’on appelle la « glocalisation ». Un auteur français comme Stéphane Allix qui signe chez HarperCollins est également publié par nous en Italie et va l’être aux États-Unis... Dans le domaine digital dont je viens, on constate que les jeunes lecteurs s’informent sur les auteurs qui les intéressent via les réseaux sociaux qui sont globaux. On peut donc créer des contenus communs à nos différents marchés. Nous travaillons en 16 langues et nous faisons beaucoup de « best practice sharing » (partage de bonnes pratique, ndlr). On apprend des États-Unis et de la Grande-Bretagne où notre groupe est plus important, mais on apprend aussi des unités plus petites qui sont dans des pays en avance sur un marché ou un autre.
Est-ce que le fait d’avoir été le leader de la romance avec Harlequin est utile à l’heure ou se développe la new romance (&H chez HarperCollins France) ?
Certaines choses sont communes, nous avons des éditeurs qui sont habitués à travailler sur ces genres, qui les apprécient, qui n’ont pas de mépris pour eux. Mais on doit également apprendre de nouveaux concurrents. Créer des produits hauts de gamme avec un beau papier, une belle fabrication. Et on regarde actuellement le fond Harlequin afin de republier certains auteurs emblématiques, cela représente de belles opportunités.
« One size fit all » n'est pas le modèle de nos industries
De manière plus générale, aujourd’hui le milieu est peut-être un peu moins intellectuel et plus tourné vers le commercial. L’attitude a changé vis-à-vis de la romance et d’autres genres qui font également partie du marché. L’important, c’est que les jeunes lisent, et ils commencent à lire avec ce qu’ils veulent. C’est un bon début, c’est mieux que ne pas lire du tout, de ne pas être familier des histoires.
Pensez-vous que l’offre de livre audio lancée par Spotify en France va révolutionner ce marché ?
J’ai commencé chez HC comme chef du digital, et j’essaie toujours de développer les partenariats avec des entreprises innovantes. Spotify a apporté de la croissance au marché du livre audio même dans les pays ou il était déjà robuste comme les États-Unis ou la Grande-Bretagne. Ils touchent des consommateurs plus jeunes, avec des profils différents.
Arnaud Nourry notait lors d’une conférence à la foire de Francfort que l'ebook s’est révélé décevant, mais que le livre audio s’avère un vrai marché. Qu’en pensez-vous ?
Il y a 12 ans, quand je suis arrivée de l’industrie de la musique, je pensais que l’ebook allait assez vite représenter 40 % du marché. Nous nous sommes trompés, cela reste des parts de marchés à un chiffre concentrées sur des produits très particuliers. L'ebook a remplacé certaines lignes de livres à prix réduit vendus dans les supermarchés. Des livres que leurs lecteurs et lectrices ne souhaitaient ni montrer, ni garder. L’audio c’est autre chose. On a tous un téléphone dans la poche. On s’ennuie, on en a assez de passer nos journées devant un écran… Il y a encore des possibilités de développement dans les pays anglo-saxons et j’espère que cela va aussi marcher en France. Le podcast fonctionne bien, mais il transmet une info courte alors que les gens recherchent plus de profondeur. Ce que le livre papier comme audio offre. On découvre un sujet grâce au podcast et on approfondit grâce au livre.
Vous faites partie d’un grand groupe de médias, News Corp, fondé par Rupert Murdoch. Que pensez-vous de la convergence des médias dont on reparle beaucoup aujourd’hui en France, avec le rachat d'Hachette par Vivendi, le groupe de médias dirigé par Vincent Bolloré ?
À titre personnel, j’entends parler de convergence depuis mes débuts, mais je ne l’ai jamais vu advenir. Cela arrive parfois, mais c’est rare. Dans un groupe chaque « Business unit » regarde son PNL (« pertes et profits », ndlr). Et c’est sur cette base qu’ils prennent leurs décisions. De même que l’on n’impose pas à notre filiale française de publier des livres HC qui ne correspondent pas à son marché, la télé n’impose rien aux magazines ou à l’édition. On montre ce qu’on fait aux autres unités du groupe en avant-première et c’est eux qui choisissent… J’ajoute que si en France on achète souvent les droits audiovisuels des auteurs, aux États-Unis les agents séparent les droits. « One size fit all » n’est pas le modèle de nos industries.