Livres Hebdo : Votre prise de contrôle de la maison vient couronner un processus de plusieurs années.
Caroline Fortin : Il n'y avait pas de scénario écrit. Je travaille dans l'entreprise familiale depuis plus de trente ans, et ces dernières années en tant que directrice générale, mais les choses se sont faites progressivement même si elles ont été accélérées par la crise sanitaire. La fin de mon mandat de présidente du comité d'organisation de l'invitation du Canada à la Foire internationale du livre de Francfort 2020 et 2021, qui m'a occupé pendant 9 ans, a aussi créé les conditions pour que j'assume directement la responsabilité de Québec Amérique.
Comment définiriez-vous Québec Amérique aujourd'hui ?
C'est vraiment une maison d'édition généraliste, qui emploie 45 à 50 personnes, avec deux grandes divisions. En littérature générale, nous publions plus de 80 nouveautés par an en littérature adulte et jeunesse, fiction et non fiction. Nous faisons de tout à part de la poésie et du théâtre. Parallèlement, Québec Amérique international, qui se développe depuis les années 1980 autour de notre Dictionnaire visuel et de ses dérivés et représente 25 % de notre activité, déploie à l'international des activités de packaging physiques et numériques. Nous fournissons des contenus visuels. Nous détenons aussi 65 % des éditions Cardinal, qui publient une douzaine de titres par an, des livres concept, des beaux livres et notamment beaucoup de livres de recettes. Notre particularité est de disposer en interne de notre propre studio pour le graphisme et la fabrication. D'une manière générale, pour toutes les tâches, qu'il s'agisse de l'édition ou de la correction-révision, nous nous appuyons sur des postes à temps plein en interne.
Comment souhaitez-vous faire évoluer la maison ?
Je veux consolider l'équipe, que nous avons depuis longtemps et que je rajeunis, nos acquis et notre compréhension du marché en faisant évoluer notre ligne éditoriale, en préférant les coups de cœur au remplissage d'une grille de collections. Je supprime les cadres de collection pour mieux traiter chaque livre suivant sa personnalité. Je veux publier des livres que j'ai envie de lire, et pas plus que je ne peux en lire. Et je veux les penser comme des objets spécifiques, parce que c'est cela que les gens viennent chercher en librairie. Pour cela, j'ai créé un « comité d'acquisition », avec tous les services de la maison, pour débattre, souvent longtemps, du choix des titres à publier, quel que soit leur domaine. Nous débattons de tout, du contenu du livre, de son public, de sa conception, de la communication qu'il nécessitera. Cela permet un engagement de toute l'équipe sur les titres que nous choisissons, et cela nous permet aussi de mieux aider les auteurs, de travailler avec eux.
Cela implique une redéfinition de l'identité de la maison ?
Nous sommes en train de l'affirmer. Nous avons ouvert Québec Amérique à des voix féminines, à des voix plus jeunes. Mais une auteure comme Marie Laberge, l'un des piliers de la maison avec d'autres auteurs comme Yves Beauchemin, Micheline Lachance, Stéphane Dompierre ou Andréa Michaux, a aussi beaucoup de jeunes lectrices. Le lectorat se renouvelle énormément actuellement, c'est avec lui que nous voulons évoluer.
Envisagez-vous de vous développer en France au-delà de la cession de droits ?
Il y a cinq ou six ans, nous avions établi un partenariat chez Dilisco pour le livre pratique et la jeunesse. Mais nous n'y avons pas mis suffisament d'énergie. Aujourd'hui, nous travaillons à la constitution d'une petite structure avec un accord de distribution.
Depuis mai 2019, vous disposez avec Dimedia de votre propre structure de distribution, en partenariat à 50/50 avec les édtions du Boréal. Quel bilan en tirez-vous ?
Formidable, vraiment. C'est un très bon outil, avec une belle équipe qui a une très bonne image auprès des libraires. Ils ont une expérience qui m'a moi même surpris. Le défi est maintenant de faire grandir Dimedia, qui est la structure idéale pour accueillir et soutenir les éditeurs indépendants, français comme québécois. Le mérite en revient d'ailleurs à Pascal Assathiany (P-DG du Boréal, NDLR), qui préside Dimedia une année sur deux en alternance avec moi, et qui par le passé a par exemple aidé des maisons d'édition comme Le Quartanier ou Alto.
Quel bilan personnel tirez-vous de votre présidence, pendant 9 ans, du comité d'organisation de l'invitation du Canada à la Foire internationale du livre de Francfort 2020 et 2021 ?
Au départ, j'ai été sollicitée parce que je présidais la structure de promotion à l'international Livres Canada/Canada Books. Ce type de mission est vraiment un don de soi et a constitué aussi, pour Québec Amérique, un don de mon temps. Mais, personnellement, j'ai beaucoup appris. J'ai réalisé que je pouvais convaincre le gouvernement comme les 10 provinces du Canada. Cette expérience m'a apporté confiance et assurance. On ne peut pas travailler dans l'édition sans passion, car on doit investir dans des histoires et y croire. C'est même le fait d'y croire qui permet leur succès. Pour l'anecdote, pendant l'été dernier, j'ai lu tous les prix littéraires pour comprendre les passions des autres.