Carole Fives parle vite, avec des accents d’ironie légère, comme ceux qui préfèrent l’écrit à l’oral. Ce n’est sans doute pas un hasard si, dans ses livres, c’est précisément des voix qu’elle cherche à faire entendre. Et elle a l’oreille fine, cette fille du Nord qui a emprunté son nom de plume à un quartier de Lille et dont son éditeur indique seulement qu’elle "vit et travaille entre Lille et Lyon" tandis que le site Internet "officiel" de l’écrivaine, "conçu par un ami", a arrêté de mentionner ses activités… en 2013. Un nouveau roman, le deuxième, paraît pourtant, dédié à son fils, un nouveau-né qui porte un prénom de peintre, rare.
Monotâche
C’est dimanche et je n’y suis pour rien accueilli chez Gallimard dans la collection "L’arbalète" dirigée par Thomas Simonnet, confirme le talent délicat de cette écrivaine découverte en 2010 avec un recueil de nouvelles Quand nous serons heureux, récompensé notamment par le prix Technikart (présidé cette année-là par Alain Mabanckou). Il est suivi en 2012 de Que nos vies aient l’air d’un film parfait, un premier roman situé dans les années 1980 dans lequel elle aborde avec beaucoup de subtilité le divorce et les liens fraternels en donnant la parole aux enfants. Deux titres publiés par Le Passage - le dernier repris chez Points. Carole Fives signe aussi parallèlement des livres pour la jeunesse. Modèle vivant, paru en mai à L’Ecole des loisirs dans la collection "Médium", fait d’ailleurs écho à ce nouveau livre, l’inscrivant dans une continuité chronologique. Dans le premier, la narratrice a 15 ans, dans le roman, la même en a 40. Enseignante en arts plastiques, peintre qui a cessé de peindre, elle se rend à Porto pour retrouver les traces de son amour d’adolescence, un garçon portugais, mort dans un accident de voiture vingt-cinq ans plus tôt. Sans enfants ni attaches fixes, Léonore n’a rien construit. Flottante dans son existence, elle vient durant trois jours se confronter aux fantômes. A l’image du Portugal en crise, c’est, dit d’elle sa créatrice, "une femme empêchée", "bloquée dans sa vie". Là encore, le roman fait entendre deux voix : celle du garçon de 19 ans, entre la vie et la mort dans une salle de réanimation d’un hôpital de Tours, et le "je" d’une femme en quête de réconciliation avec son passé. Carole Fives ne fait pas mystère du fait que son personnage emprunte quelques traits à sa propre biographie. Formée à l’école des beaux-arts de Toulouse, l’écrivaine a elle-même mis son activité de peintre plasticienne en sommeil. Et enseigne à mi-temps dans une école d’art à Lyon après avoir longtemps été prof en collège.
Carole Fives a songé à illustrer ses propres histoires mais considère qu’écrire et dessiner sont deux expressions très différentes. Elle constate, sans regret : "Je suis un peu monotâche." Après s’être rendue plusieurs fois à Porto, elle a achevé l’écriture de son roman, pendant les deux mois qu’elle a passés en solitaire, l’été 2013, dans le New Hampshire, en résidence à la MacDowell Colony. S’extraire et s’immerger : les deux gestes de sa vie d’artiste.
Véronique Rossignol
Carole Fives, C’est dimanche et je n’y suis pour rien, Gallimard/L’Arbalète. 16,50 euros, 160 p. ISBN : 978-2-07-014774-8. Sortie : le 2 janvier.