L'un des cafés de Filigranes, à Bruxelles. Marc Filipson projette un troisième "cafffé" dont les spécialités seraient saumon, huîtres, caviar et champagne. - Photo LAURENT SAZY
Café plus librairie : un bon cocktail ?
Adjoindre un café, un restaurant, un salon de thé ou une cave à vin à sa librairie séduit bon nombre de professionnels, qui en apprécient les côtés conviviaux et chaleureux. La formule, en forte croissance, traduit le besoin de diversification des librairies. Mais elle est chronophage et pas forcément très rentable.
Par
Cécile Charonnat Créé le
28.06.2016
à 14h30, Mis à jour le 24.01.2022 à 11h53
S'appuyant sur son étude consacrée aux perspectives du commerce culturel d'ici à 2020 (1), Philippe Moati, directeur de recherche au Crédoc, a vivement interpellé les librairies lors des Rencontres nationales de la librairie sur la nécessité de mettre le client au centre de leur préoccupation, via notamment un service ultra-personnalisé, et de leur faire vivre, dans leur boutique, une "expérience qui leur apporte des effets". Certains professionnels n'ont pas attendu cette analyse et explorent, depuis une dizaine d'années environ, la piste du café pour faire de leur librairie un lieu qui se démarque. "Nos boutiques ne peuvent plus se résumer à une boîte carrée avec des caisses au bout. Il faut en faire des lieux de vie », constate Charles Kermarec, qui fut un des premiers libraires à installer un café dans sa librairie en 1997.
Les Vengeances tardives, Lyon : cumuler deux activités à faible rentabilité et à l'avenir incertain, c'est le pari audacieux de Cécile Terrien et Céline Gobillard avec ce bistrot traditionnel, qui sert boissons et assiettes du jour- Photo OLIVIER DION
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Depuis, les concepts se sont multipliés et diversifiés, de la librairie-café au bistrot à lire en passant par le restaurant-librairie, et émaillent désormais tout le territoire, en ville comme à la campagne, avec une forte concentration en Bretagne (voir encadré p. 19). Offrant un aspect extrêmement varié et recouvrant des réalités contrastées, leur dénominateur commun reste la volonté de créer un lieu de vie convivial et chaleureux, qui permet aux clients de nouer une relation différente au livre et de les retenir plus longtemps dans les magasins. "En 1997, lorsque nous avons préparé les travaux de Dialogues, nous avons déposé une boîte à suggestions pour les clients. Il en est ressorti qu'ils avaient envie d'avoir un lieu où ils pouvaient passer et perdre du temps. Quel meilleur endroit qu'un café pour cela ? Depuis, notre café est devenu le coeur de la librairie, un endroit où les étudiants travaillent, où les lecteurs s'expriment », explique Charles Kermarec.
Dialogues, Brest : le café, ouvert en 1997, représente 1 % du chiffre d'affaires. - Photo DIALOGUES
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"Le café et la librairie sont deux activités qui se marient bien », renchérit Céline Gobillard, à la tête des Vengeances tardives à Lyon. Ouvert en décembre 2010, le bistrot traditionnel, qui sert boissons et assiettes du jour, propose également un millier de titres en romans policiers. "Dans un bistrot, le rapport aux clients est différent, on peut y désacraliser le livre et la lecture. Le conseil est facilité parce qu'on prend le temps. On a même constaté un effet comptoir, qui fonctionne plutôt bien : les clients y engagent régulièrement des débats sur leurs lectures », souligne la libraire en herbe, qui a fixé pour la première année un prévisionnel à 60 000 euros pour le livre et 80 000 pour le bistrot.
La Galerne, au Havre. "Le café crée une habitude du lieu. C'est à La Galerne que les gens qui déjeunent le midi iront acheter leur livre", explique Serge Wanstok. - Photo LA GALERNE
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Bémol
Seul bémol, et il est de taille, le "taux de transformation" - à savoir l'impact sur les ventes de livres - n'est pas toujours au rendez-vous, notamment lorsque le café propose une restauration le midi. "C'est parfois frustrant de voir les clients déjeuner vite fait et ne pas jeter un regard sur les livres, alors qu'on fait un effort constant sur la sélection », s'énerve Sophie Neuville, qui a fondé en 2001 Le Bistrot à lire à Quimper et qui ne réalise plus que 20 % de son chiffre avec le livre. Même constat du côté de Toulouse où Fabrice Domingo, propriétaire de Terra Nova, spécialisée en littérature étrangère et cultures du Sud, a décidé de stopper la petite restauration - salades, tartines, soupes et quiches -, lancée six mois après l'ouverture, pour ne conserver que le salon de thé. "La restauration nous prenait un temps fou, nous nous y sommes épuisés, au détriment de la librairie. Cette nouvelle formule est plus adaptée à notre coeur de métier. » En revanche, il ne regrette pas l'expérience, qui a permis notamment de générer du trafic et des habitudes de consommation, et de dynamiser sa croissance pendant les cinq premières années d'activité. Elargir sa clientèle et sa zone de chalandise, c'est également le but de Delphine Le Borgne lorsqu'elle installe un salon de thé au sein de Livres In Room (Saint-Pol-de-Léon). Quatre ans plus tard, l'endroit est devenu "un lieu de rendez-vous, qui suscite des achats en librairie, m'a permis de rester en progression et d'améliorer mes marges, au même titre que la papeterie », souligne la libraire.
Gagner des points de marge
Diversifier une activité peu rentable et gagner des points de marge reste également une des raisons qui poussent les libraires à s'ouvrir au café. "La diversification est une nécessité. Ouvrir aujourd'hui une librairie seule, c'est aller au casse-pipe », estime Katia Panier. Après quinze ans chez Decitre, elle a créé en 2006 Le Flo des mots à Sète. Autour d'une librairie généraliste (12 000 références et 60 % du CA), sont agencés une cave à vin et un salon de thé pour une restauration légère le midi (20 % du CA), une papeterie (10 % du CA) et un rayon de jouets (10 % restants). Toutefois, les marges dégagées par un café, si elles sont meilleures que dans le livre, sont largement grignotées par le personnel nécessaire et-ou le temps accordé à cette activité. "Faire les courses tous les matins et consacrer sept minutes pour un thé à 2,50 euros, ce n'est pas forcément le plus rentable », martèle Anne-Sophie Thuard, qui dirige la librairie du même nom au Mans et a choisi de corser encore l'affaire en ouvrant en 2007 un café bio, pour rester cohérente avec son éthique et son image.
Pour Serge Wanstok, qui vient de reprendre La Galerne, au Havre, le calcul est identique. Le café, ouvert en 1999, ne désemplit pas et apporte 2,4 % de CA. "Mais s'il participe à l'image de la librairie, au même titre que les rencontres, il ne contribue pas à la rentabilité de l'entreprise de manière appuyée. Il faut le voir avant tout comme un service que nous offrons à nos clients et non une réelle piste de diversification. » Une analyse que partage Matthieu de Montchalin, qui a tenté l'expérience en 2004 pour l'arrêter en 2007, faute de gains. "Là, j'ai raté mon coup, à la fois parce que je n'étais pas sur un marché de pénurie et parce que je n'ai pas trouvé le bon mix. Mais cela m'a appris une chose : la diversification ne répond pas au même automatisme que la librairie. Il va falloir accepter que ce qui fonctionne chez le voisin ne marche pas forcément chez soi. L'agilité d'esprit et l'inventivité seront prédominantes pour réussir la diversification."
(1) Etude prochainement disponible sur le site des Rencontres nationales de la librairie, www.lesrencontresnationalesdela librairie.fr.
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Par
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