Rencontre à Bruxelles autour de Neelie Kroes, la vice-présidente de la Commission européenne et commissaire en charge de la société numérique, le 26 juin 2012. Il faut s'en réjouir ; cette rencontre a en effet montré que le souci de définir une stratégie pour ce marché commençait à prendre forme à Bruxelles, au moment même où nombre de dossiers sont sensibles : l'avenir et les conséquences de la décision française de faire bénéficier le livre électronique du même taux réduit de TVA que le livre papier, l'application de la loi sur le prix du livre numérique, et la décision à venir des autorités en charge de la concurrence sur la supposée entente entre éditeurs au sujet du contrat d'agence. En arrière-fond, peu abordés -faute de temps- en dehors de la présentation que l'on m'avait proposé de faire, il faut rappeler trois enjeux au moins : l'avenir de la lecture dans un univers numérique , la préservation de la diversité éditoriale (au sens de la diversité des œuvres, mais aussi de la diversité des maisons qui les défendent et des lieux où elles sont vendues), et l'incertitude encore si forte sur les modèles économiques du livre numérique (le recul des ventes de livres format poche aux Etats-Unis, pour lesquelles joue un effet de substitution entre le numérique et le papier). Nombre de groupes européens étaient représentés : Planeta, Mondadori, Hachette, Penguin, Holtzbrinck, Random House, Editis, Gallimard. Google et Amazon participaient aux débats et furent conviés à présenter quelques remarques, essentiellement centrées sur l'interopérabilité pour l'un, et sur ses réflexions sur « l'avenir » pour l'autre (selon « l'agenda » défini par la Commission). D'autres acteurs de la chaine du livre étaient aussi présents. Le choix de partir de la question de la portabilité permit d'obtenir deux effets : faire valoir la technologie comme élément structurant du marché, ce qui mérite plus que discussion, et partir de questions certes non consensuelles, mais qui fâchent moins que d'autres. La sortie des formats propriétaires dont on souligna les multiples inconvénients fut prônée, en toute logique, par nombre de participants, dont Google. Mais l'ouverture de la possibilité de télécharger sur plusieurs matériels un livre acheté sur un magasin dédié imposé avec le Kindle ne permet pas de sortir de l'écosystème d'Amazon. Et la question sous-jacente de l'efficacité - ou de l'inefficacité - des DRM demeure controversée. Les éditeurs insistèrent sur la fiscalité (le différentiel de TVA papier/numérique et la décision française de passer outre) et obtinrent le soutien -certes prudent, compte tenu de son champ de compétence-, de la Commissaire européenne. Sur ce point, ils suscitèrent l'enthousiasme ... d'Amazon. Les stratégies d'optimisation fiscale des géants du Net ne furent en revanche pas traitées. Sur le fond, les éditeurs rappelèrent que leur métier demeure de choisir des textes, d'accompagner les auteurs, offrir de la visibilité au livre ainsi qu'à son auteur. Il me semble qu'un débat sur cette question est essentiel. Dans une économie numérique basée sur la rareté de l'attention et le rôle crucial de l'information, le livre, bien d'expérience comme tous les biens culturels, ne livrant les secrets de sa qualité qu'à la condition de sa lecture, ne saurait être visible « naturellement », et requiert des outils de promotion adaptés. Il y a là affaire d'accès, mais aussi de dépendance ou au contraire de maitrise de l'information qui va au lecteur (via les outils de recommandation, les moteurs de recherche, la qualité des metadonnées, etc.). La déclaration finale* sur les livres numériques fut signée par environ la moitié des participants, représentants et/ou dirigeants de Jouve, Libreka, Maurispagnol, Mondadori, PWN, Izneo, EIBF/Eason, Paagman, Cultura, Carlsen, TEA, Penguin Group, BRILL, Telecom Italia et Curtis Brown. Rappelant le potentiel de croissance (mais, serais-je tentée de préciser- pas nécessairement de profits !) que revêtent les ebooks, leur apport en matière d'usages (stockage, accès, achats, portabilité), la déclaration insiste sur un principe essentiel pour le développement du marché et, ajouterais-je, la lutte contre le piratage. Allant plus loin, elle rappelle qu'il « ne devrait y avoir aucun obstacle pour les consommateurs d'acquérir des ebooks à travers les frontières ». Sans doute cette dernière phrase suscita méfiance ou simplement prudence chez certains participants, qui choisirent de ne pas signer : parmi eux, les représentant d'Editis, Hachette, Gallimard, Random House, Planeta notamment. Mais il faut aussi préciser que ni Amazon ni Google ne signèrent non plus. Principe de précaution, si je puis dire, plus que question de désaccord, du moins sur ce point. Bref, une réunion peut-être frustrante, car tant de questions essentielles ne furent que très rapidement abordées !- mais qui a le mérite de s'être tenue, d'avoir soulevé quelques sujets importants, et de montrer que Bruxelles se soucie à raison de la première des industries culturelles européennes, qui fait belle figure en face de nos amis américains, mais qui peine à se positionner sur le marché numérique sur lesquels les géants américains bénéficient d'une solide avance. __________ * " The European ebooks segment is growing rapidly and is demonstrating its potential to all stakeholders, in particular readers and authors, and also to publishers, book sellers and network operators. For authors, ebooks are a new way of reaching the public and provide a new revenue stream. For readers, there are significant benefits, including the possibility to store, access and buy a large number of books on portable devices. Signatories welcome the development of the European ebook segment, the prospects of growth and renewal that it brings. They support an increasing number of ebooks and devices being made available to consumers across the European Union. Signatories of this declaration endorse the principle that there should be no barriers for consumers to acquire ebooks across territorial borders, platforms and devices. Signatories of this declaration underline the importance of installing a VAT regime which is neutral as far as ebooks are concerned and does not damage sales of printed books ".