5 mai > Nouvelles Irlande

Joseph O’Connor - Photo MADO/PHÉBUS

Fin des années 1980, les lettres irlandaises voient s’épanouir de nouveaux auteurs, moins arc-boutés sur le douloureux passé de l’île d’Emeraude - la colonisation britannique, la Grande Famine, l’hémorragie migratoire vers l’Amérique -, mais bien ancrés dans un quotidien vivace, pulsant aux riffs de guitares rock. Roddy Doyle en est le chef de file avec sa Trilogie de Barrytown puis Paddy Clarke ha ha ha, qui lui vaudra le prix Man Booker en 1993. Dans la même veine ultra-contemporaine, Joseph O’Connor signe en 1991 un premier roman, Le dernier des Iroquois (traduit en 2000 chez Phébus), et des nouvelles la même année, Les bons chrétiens (Phébus, 1996). Environ deux décennies après ce recueil, O’Connor retourne à la forme brève à travers huit histoires, Les âmes égarées. La nouvelle, ce genre ténu qui dépeint plus l’humeur d’un personnage ou l’atmosphère d’une situation qu’il n’ourdit d’intrigue.

Dans "Deux petits nuages", clin d’œil postmoderne à "Un petit nuage" dans Les gens de Dublin, de Joyce, on recroise Eddy Virago du Dernier des Iroquois mais sans sa crête capillaire. L’anticonformiste, fan de Sid Vicious, est devenu un agent immobilier avec BMW flambant neuve et photo de ses marmots dans le portefeuille. On goûte toute l’ironie. Le personnage joycien était un poète raté, ici on a affaire à un ex-punk qui a pris vingt kilos.

Couples dysfonctionnels, occasions manquées, ambitions simplement rêvées… Le ratage donne une unité de ton à ces nouvelles sur fond d’Irlande en crise, les voix qui racontent ont un grain mélancolique. Il y a dans ces histoires du Tchekhov, mais sous anxiolytiques. Les héros sont divorcés, séparés ou se souviennent du déchirement de leurs parents. Dans la nouvelle "Un garçon bien aimé", Cian Hanahoe, littéraire dans l’âme et banquier dans la vie, est solitaire et dépressif, jusqu’à ce qu’il rencontre une Londonnienne pétillante, chef décoratrice envoyée en Irlande par sa production. Entre eux se noue bientôt une liaison mais ils ne resteront pas ensemble. Destins entrelacés puis défaits, ou simplement frôlés. Maureen, la femme trompée de "Couleur octobre" a un cancer qu’elle cache à son mari et ses enfants. Dans l’hôtel à Dublin où elle se rend pour se faire soigner, elle fait la connaissance d’un exubérant guide touristique juif américain qui la réconcilie avec la vie l’espace d’une soirée.

S’il est des itinéraires sans retour, telle la chronique d’un suicide annoncé ("Mort d’un serviteur de l’Etat"), chez O’Connor, la conscience de ce qui n’a pas marché n’engendre pas pour autant l’amertume. L’écrivain dublinois né en 1963 sait restituer toutes les nuances d’un souvenir où la tendresse l’emporte toujours sur le regret. Comme dans "The Wexford girl", hommage d’un fils à son père, vieux pêcheur de Dun Laoghaire, loser magnifique, briseur de cœurs et buveur invétéré, roi de la blague dont le rire retentit encore outre-tombe. S. J. R.

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