Je ne bâtis que pierres vives, ce sont hommes. » Cette phrase, extraite du Tiers livre de Rabelais, a donné son nom à l'imposant bâtiment signé par l'architecte Zaha Hadid, dont l'ouverture est prévue dans un an : Pierres vives. Décidé par le département de l'Hérault, il abrite trois entités : les archives (11 000 m2 et 60 km d'archives), la médiathèque (3 100 m2 et 300 000 documents) et l'office Hérault Sport (1 500 m2 et 2 000 journées d'animation par an dans le département). Une sorte de Cité des savoirs et du sport pour tous, avec des espaces communs aux trois structures (2 250 m2) : un hall d'exposition, un auditorium, etc. A l'heure qu'il est, seule l'impressionnante construction de béton, de verre et d'acier émerge du terrain vague environnant. Tel un arbre couché, selon l'architecte lauréate du prix Pritzker. Les Montpelliérains, eux, y voient plutôt un énorme vaisseau lézardé de lumière.
En tout cas, cette prouesse architecturale de 200 mètres de long, capable de supporter une charge de 1,4 tonne au mètre carré, est appelée à devenir l'équipement phare d'un nouveau quartier, situé à la jonction de ceux de la Paillade, d'Alco et de Malbosc. Ce qui était une "dent creuse", comme disent les architectes pour désigner ces parcelles laissées vierges au milieu d'espaces urbains, d'une taille de 10 hectares, a été racheté à l'armée par le département de l'Hérault, qui manquait cruellement de place pour ses archives et sa BDP. L'objectif est de bâtir, en concertation avec la Ville de Montpellier, 900 logements, des commerces et des services, des places et des jardins publics pour notamment décloisonner le quartier de la Paillade, qui a souffert, dans les années 1960, d'une urbanisation hâtive.
Une architecte star
L'architecte star Zaha Hadid a été choisie parmi 36 équipes internationales participant à l'appel d'offres lancé par le département. A la tête du jury, André Vezinhet, président du conseil général de l'Hérault, a soutenu contre vents et marées ce projet ambitieux. Les polémiques n'ont pourtant pas manqué, d'autant qu'en 2006 la communauté d'agglomération Pau-Pyrénées avait renoncé à faire construire par la même Zaha Hadid une médiathèque dont le toit était une coque en fibre de carbone et dont les coûts avaient explosé avant même que le chantier ne soit lancé... Les coûts, à Monpellier aussi - 128,5 millions d'euros -, n'ont cessé d'augmenter à cause du retard dans la construction. Mais André Vezhinet, dont le département compte plus d'un million d'habitants et est confronté à une vraie poussée démographique, a tenu bon. "Rappelez-vous la pyramide du Louvre, dit-il volontiers à ses détracteurs, ou plus proche de nous le Corum [de Montpellier, NDLR], tous les grands projets ont connu des critiques et ils sont aujourd'hui salués."
Une chose est sûre, c'est que la lecture publique y est à l'honneur. Ce projet innovant fait partie des exemples qui rassurent l'Association des bibliothèques départementales (ADBDP), inquiète du rôle des BDP dans les nouvelles politiques territoriales (1). "Le département de l'Hérault donne des moyens à la médiathèque afin qu'elle assure pleinement son service public sur l'ensemble du territoire, c'est à ses yeux un enjeu d'équité sociale autant que territoriale", insiste le directeur du site, Jean-Michel Paris, qui fut longtemps directeur de la BDP et se trouve aujourd'hui au conseil général en tant que directeur général adjoint chargé de la culture, de la jeunesse et du sport.
Ouverte au grand public
La vieillotte bibliothèque départementale entre en effet dans le XXIe siècle en s'installant à Pierres vives, et double ses équipes (62 personnes à terme). "Avançons vers la proue du navire... ou le sommet de l'arbre, selon l'imaginaire des uns et des autres, invite la directrice, Mélanie Villenet-Hamel. Vous découvrez un plateau ouvert de 1 000 m2, clair, lumineux, où l'on peut déjà imaginer petits et grands, flâneurs et érudits déambuler et s'approprier les lieux. »
Car si la mission première de la médiathèque est d'être une plateforme d'ingénierie culturelle au service des 300 communes du département et de faire un service de desserte grâce à trois bibliobus, un musibus et deux navettes documentaires, elle a pris le parti d'ouvrir ses locaux au grand public, comme le font seulement quelques rares autres BDP - dans les Bouches-du-Rhône, la Drôme et en Vendée... "Sans nous substituer aux médiathèques de l'agglomération de Montpellier, qui maillent fort bien le territoire, dit Mélanie Villenet-Hamel, nous voulons offrir des collections numériques ou sur papier à consulter sur place. »
Laboratoire
Cet ensemble grand public se déclinera en quatre espaces non cloisonnés au service de tous : l'espace "Actualité" (presse papier et numérique, ouvrages documentaires d'actualité, vidéos et bouquets de médias télévisuels...) ; l'espace "Découvrir" (forêt enchantée des petits, offre spécifique pour les ados, fonds thématiques sur le sport, l'architecture et l'éducation populaire...) ; l'espace "Temps libre" qui invitera à la flânerie, au feuilletage d'un roman ou d'une BD, à l'écoute de musiques actuelles ou à l'essai de jeux vidéo ; enfin, l'espace "Formation et vie citoyenne" (vie pratique, décodage des institutions et administrations, remise à niveau, cabines de langues, etc). "L'autre originalité de la médiathèque, explique Mélanie Villenet-Hamel, ce sera sa dimension de laboratoire d'expérimentation numérique, avec la découverte de nouveaux produits (tablettes, liseuses...), des nouvelles ressources numériques et des ateliers gratuits autour de ce thème. »
Le pari de Pierres vives, et c'est sans doute là que le projet sera le plus exemplaire, c'est que les trois structures - archives, médiathèque et office du sport - ne travaillent pas chacune dans leur coin. "Chaque entité conservera ses missions propres, précise Jean-Michel Paris, mais Pierres vives est un établissement mutualisé qui doit permettre aux entités qui le composent de dépasser la simple logique de cohabitation en un même lieu pour coproduire un projet d'établissement en phase avec les attentes du public dans une logique d'éducation populaire rénovée. » Preuve que cette volonté de synergie n'est pas un voeu pieux, les trois structures disposeront d'une équipe commune de 40 personnes pour la communication et l'animation de l'ensemble. Un programme d'action culturelle doté d'un budget de 600 000 euros coordonnera des manifestations dans les espaces communs aux trois structures : le hall d'exposition, l'espace multimédia, les salles de formation, l'auditorium...
Rendez-vous donc dans un an à l'ouverture de Pierres vives, qui attirera les fans d'architecture, les touristes et les professionnels des archives et des bibliothèques. Le public sera-t-il au rendez-vous ? Le quartier sera encore en friche, le chemin pour y arriver ne sera peut-être pas si évident. Le département table en tout cas sur 100 000 visiteurs par an, avec "l'objectif de toucher un public non habitué aux bibliothèques et de stimuler l'ensemble du réseau départemental de lecture publique, note Jean-Michel Paris. Si nous réussissons cette démocratisation culturelle, nous aurons gagné notre pari".
(1) Voir LH 646 du 19.5.2006, p. 66.