Ce printemps, le marché de l'autographe et de l'archive a vu apparaître coup sur coup une lettre de Dreyfus au ministre de l'Intérieur, vendue aux enchères, et un dossier sur Landru, issu manifestement des sommiers de la préfecture de police, exposé à Saint-Germain-des-Prés dans une officine privée. Les forces de l'ordre semblent avoir du mal à garder sous clés leurs propres documents ; ou à réagir une fois le temps bien écoulé. Le petit-fils du capitaine Dreyfus s'est d'ailleurs indigné d'une telle vente, rappelant que ce document « n'émane pas de la famille Dreyfus qui s'est constamment appliquée à donner, par legs successif, ses archives, tant à la Bibliothèque nationale de France qu'au Musée d'art et d'histoire du judaïsme. » En réponse, Sotheby's a tenu « à préciser qu'elle dispose d'éléments précis sur la provenance de cette lettre, confirmant qu'elle peut être régulièrement mise en vente par son propriétaire, dont ni la réalité du titre de propriété ni la bonne foi ne peuvent être mis en cause. (...) cette lettre a fait l'objet d'une première cession onéreuse par la famille du capitaine Dreyfus, avant d'être rachetée par son actuel propriétaire en 1996 à la librairie Charavay. » Il n'est d'ailleurs pas rare de trouver sur les quais de la Seine, au gré des boites de bouquinistes, nombre d'ouvrages estampillés des plus belles bibliothèques ; et dont on se doute qu'ils n'ont pas été « désherbés » volontairement.... Il est évident que les sanctions pénales pour vol ont, en premier lieu, vocation, à s'appliquer aux délesteurs de manuscrits et autres archives : la peine d'emprisonnement peut monter jusqu'à cinq ans et l'amende jusqu'à 75 000 euros. Sans compter les dommages-intérêts auxquels peut prétendre l'entité publique dépouillée, au sein duquel des mesures disciplinaires les plus graves, allant jusqu'à la révocation complète, peuvent être engagées. Si le vol est commis en « bande organisée », ce qui constitue une circonstance aggravante, l ' article 311-9 du Code Pénal qualifie alors l'infraction de crime, et non plus de délit, susceptible d'être jugé aux assises et de valoir quinze ans et 150 0000 euros d'amende. Quant aux maisons de vente ou aux libraires et courtiers qui ont participé à l'écoulement des pièces soustraites, leur responsabilité pénale peut également être recherchée sur le fondement du recel. Car, en France, le recel est, en théorie, un délit imprescriptible. En clair, nul ne peut invoquer le temps écoulé depuis le début du forfait pour échapper aux poursuites. Pour mémoire, le recel consiste, aux termes de l'article 321-1 du Code pénal français, dans « le fait de dissimuler, de détenir ou de transmettre une chose, ou de faire office d'intermédiaire afin de la transmettre, en sachant que cette chose provient d'un crime ou d'un délit. » Le même texte précise que « constitue également un recel le fait, en connaissance de cause, de bénéficier, par tout moyen, du produit d'un crime ou d'un délit. » En France, la jurisprudence décidait que le recel de choses est un délit continu. Or, dans le cadre d'un délit continu, la loi incrimine non pas un acte isolé mais la persistance ou le maintien d'une situation illégale. Le caractère instantané ou continu du délit de recel est, d'après la section répression du trafic d'oeuvres d'art de la police judiciaire, la raison essentielle du passage et de l'implantation, en Belgique, de nombreux trafics internationaux de recel. En effet, le point de départ de la prescription de l'infraction dépend de la qualification instantanée ou continue de cette infraction. Dans le cadre d'une infraction instantanée, le délai de prescription commence à courir lorsque les différents éléments constitutifs de l'infraction sont réunis alors qu'il ne court contre une infraction continue que du jour où la situation infractionnelle prend fin. Ainsi, en Belgique, la prescription débute à l'encontre du receleur lorsqu'il reçoit sciemment la chose volée, alors qu'en France elle commence lorsque le receleur se débarrasse de la chose volée. Le délai dans lequel les autorités judiciaires doivent sévir est donc bien plus réduit en Belgique qu'en France. Les acteurs du terrain constatent donc qu'en Belgique, après le délai de prescription de cinq ans, les objets volés peuvent réapparaître « légalement » sur le marché sans que les receleurs puissent encore être inquiétés puisque la prescription à leur égard est atteinte cinq ans après qu'ils aient pris possession de l'objet dans les conditions illicites. En France, par contre, tous les receleurs successifs qui ont, à un moment ou à un autre, détenu le bien illégalement acquis restent punissables puisque la prescription ne court qu'à partir du moment où le dernier receleur de la chaîne se débarrasse du bien au profit d'un acquéreur de bonne foi. Et la jurisprudence française n'est pas tendre en la matière. La Cour de cassation a ainsi estimé coupable de recel tel antiquaire parce que celui-ci « spécialisé dans les gravures anciennes a organisé dans son établissement la vente à des confrères parisiens d'une édition complète de l'histoire naturelle de Buffon, illustrée de gravures de Martinet d'une grande valeur, qui avait été volée à la bibliothèque inter-universitaire de Bordeaux (...). Les ouvrages dérobés ont été par lui détenus. (...) en sa qualité d'antiquaire, il ne pouvait douter de leur origine frauduleuse dès lors que celui qui les lui proposait, simple chineur, n'avait aucune raison professionnelle de détenir des objets aussi rares. (...) il ne devait pas se satisfaire d'une attestation dont il n'a pas vérifié l'authenticité alors qu'il lui était facile de contrôler la provenance de ces livres ». Quand bien même leur bonne foi serait prouvée ou le dossier juridiquement prescrit sur le plan pénal, la responsabilité civile des revendeurs reste entière et entraîne, là encore, de sévères dommages-intérêts. Il en va de même des acheteurs dont la collection serait le fruit de pillages, « publics » ou « privés ».