Philippe Claudel est un gourmand de la vie, un sensuel, et l'un des rares écrivains à privilégier l'un de nos sens les plus malmenés, dont les ressources - infinies - sont mal connues et pas assez exercées par les humains : l'odorat. Sachant que, des narines au cerveau, il n'y a qu'un soupir, et que celui-ci, notre ordinateur central de bord, commande à la fois notre mémoire et notre main, Philippe Claudel a eu l'excellente idée de rédiger une espèce de florilège olfactif, qui est aussi son livre le plus personnel à ce jour. Dont la morale pourrait être : dis-moi ce que tu sens - dans les deux sens du terme : ce que tu respires, et ce que tu exhales toi-même - et je te dirai qui tu es. Quelques pisse-froid inodores et sans humour lui reprochent déjà ce qu'ils considèrent comme une frivolité littéraire : ils ont tort. Il n'existe pas de petit sujet pour un écrivain talentueux, et l'on sait depuis toujours ce que les détails révèlent d'une personnalité.
Rangés sagement par ordre alphabétique, comme des fioles dans un coffret d'échantillons, voici donc 63 textes, d'"Acacia" à "Voyage", où le parfois un peu cru (à propos du "Sexe féminin") côtoie le plus anodin, et fait rejaillir des souvenirs : ces junkies des années 1980, pour qui le jeune Philippe prenait plaisir à rouler des joints, sans en consommer lui-même, dit-il. Ou encore cette odeur de chou dans laquelle il a baigné durant son enfance, comme tous ses camarades, et qu'il aime encore. Il est comme ça, Claudel, le succès et la notoriété ne l'ont pas changé. D'ailleurs, il vit toujours à Dombasle, près de Nancy, sa ville natale, mais loin des odeurs délétères de la capitale.
Parmi cette symphonie qui eût ravi et horrifié à la fois des Esseintes, on notera le texte consacré au "Cigare", fort beau poème en prose exalté à la gloire de Cuba (le pays et les gens, pas le régime), sur quoi Philippe Claudel avait déjà publié, en 2002 et hors commerce pour le groupement de librairies Initiales, des Carnets cubains épatants. Pour le cannabis comme pour le havane, notre homme est un "fumeur non pratiquant". Il confie avoir toujours à portée de main sur son bureau un beau cigare, qu'il tripote, hume et embouche parfois, mais sans jamais l'allumer. Outre qu'il redoute de retomber dans l'addiction tabagique, les arômes du havane, si spécifiques et si complexes, suffisent à son bonheur et à le faire voyager. Le lecteur vagabond de Parfums le suit avec plaisir dans ses textes qui rappellent parfois, par leur modestie, leur minutie et leur sensibilité, le meilleur de Philippe Delerm. Et c'est un compliment.