Nouvelles/Serbie 7 novembre Goran Petrovi?

Qui a quatre pattes le matin, deux à midi, trois le soir ? L'homme, répond Œdipe au Sphinx. Le futur roi de Thèbes a beau avoir résolu l'énigme. Demeure celle du temps - les saisons d'une carrière humaine, ces jours que traverse l'enfant, devenu homme fait, puis vieillard. On naît et c'est le compte à rebours. A quoi rime cette folle course contre la montre qu'on appelle une vie ? Dans Tout ce que je sais du temps Goran Petrovi? reprend le fil du récit de la sienne à partir du top départ. L'écrivain serbe, né en 1961 et l'un des plus talentueux de sa génération, redéploie à travers des textes brefs allant de la petite enfance à la maturité (si tant qu'on fut mûr, passé le demi-siècle). Drôles, cocasses, ironiques, perspicaces, mélancoliques, ces séquences sont des tranches horaires existentielles, des nouvelles qui se lisent comme un roman.

Tout commence par le commencement : le narrateur, six mois, qu'on imagine potelé et mafflu comme il se doit à cet âge, nu sur le ventre, posant pour la photo, grattant de l'index l'une des tapisseries murales populaires à l'époque, fabriquées en série, aux motifs sylvestres, idylliques. Le bébé a réussi à tirer un fil rouge qui, le pressent-il, n'est que l'amorce d'une immense tâche : j'ai l'air fier de moi. Très fier... J'ajouterai même qu'il me semble bien n'avoir plus jamais été aussi fier après cette fameuse entreprise. Tirer le fil et tisser une autofiction qui pulse au tic-tac de l'horloge et aux battements de cœur d'un garçon qui grandit dans la Yougoslavie de Tito. Ainsi passe-t-on du lapin que son père ramène, vivant, du marché pour un civet et qu'il n'ose plus tuer aux parties de foot sur un terrain ad hoc, une cour qui reliaient des immeubles d'avant-guerre vétustes, aux premiers rocks écoutés sur l'électrophone du frère de son copain Gnoulé, et bien sûr à ce qui met le monde en branle - l'amour (pas franchement glorieux), ces premiers émois, à 14 ans, pour une fille qui ne s'en doutait même pas. Les saisons passent, les gens aussi. L'une d'elles, l'automne semble s'installer plus durablement. Le narrateur apprend la mort de son ami d'enfance. Tant d'années sans nouvelles, il voulait appeler quelqu'un pour savoir comment Gnoulé était mort. Finalement, il écrira ce livre, que faire d'autre ? Une triste tâche : on écrit sur la vie d'autrui et sur sa propre vie - comme si on en savait quelque chose.

Goran Petrovi?
Tout ce que je sais du temps - Traduit du serbe par Gojko Luki?
Noir sur blanc
Tirage: 1 500 ex.
Prix: 15 euros ; 208 p.
ISBN: 9782882505910

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