Il s'appelle Hervé. Il est ce qu'une expression malveillante et contemporaine définit comme un « invisible ». Soixante-trois ans, retraité ; une femme, Élisabeth, qui a pour seul défaut d'être, pour quelque temps encore, plus occupée que lui ; un chien, Billy, qui lui offre le prétexte d'un emploi du temps ; une certaine propension bien compréhensible au petit verre de trop, notamment au Perroquet, le bistrot du coin ; des responsabilités tout de même, en particulier au sein du syndic de copropriété de la résidence où il laisse s'écouler ses jours comme un robinet mal fermé, quelque part du côté d'Alfortville. Un type comme les autres donc, ni mieux ni moins bien, secret et tout de même sociable, peut-être en colère, mais qui pour l'essentiel l'ignore. Un homme brisé tout de même, qui chaque jour pense à Paul, l'unique enfant qu'il a eu avec Élisabeth, emporté par la maladie dès ses premières années. Il parle de cela encore moins que du reste puisqu'il en souffre plus que de tout. Un jour, l'harmonie relative de son quotidien est brisée par la mort de sa voisine de l'appartement du dessus. La vieille dame sera bientôt remplacée par de nouveaux voisins, jeunes, beaux, plutôt riches et dotés de surcroît de magnifiques enfants. Un rêve qui pour Hervé s'apparentera bien vite à un cauchemar, à la négation même du fragile équilibre de sa vie. Et tout cela, qui n'avait pas très bien commencé, finira naturellement très mal...
Tel est l'argument d'Ordinaire, l'impeccable premier roman noir (et surtout si infiniment triste) de la scénariste et réalisatrice Audrey Najar. L'auteure s'y entend à merveille pour dessiner la part de monstruosité tapie en chacun d'entre nous, dans notre quotidien. Son Hervé est une illustration de la fameuse phrase de La règle du jeu de Jean Renoir selon laquelle « sur cette terre il y a une chose effroyable, c'est que tout le monde a ses raisons ». Dans cette microsociété que constitue une copropriété, Audrey Najar fait apparaître avec une force narrative singulière des personnages pétrifiés à jamais dans leur histoire, leur solitude, leur incapacité à s'assumer en tant qu'absents du collectif, et la souffrance qui en découle. Nourrie de ses lectures, de quelques films (on pense à Hitchcock bien sûr, pour cette capacité à révéler peu à peu la colère, le chagrin et la folie d'un homme), elle avance vaillamment dans son implacable machinerie romanesque. Il n'y a ici au fond que des victimes, mais aussi la révélation d'une vraie nouvelle plume.
Audrey Najar
Ordinaire
Éditions du Masque
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 19 € ; 226 p.
ISBN: 9782702450796