En octobre 2014, Grégory Panaccione rappelait avec éclat, sur 224 pages dans Un océan d'amour, avec Wilfrid Lupano au scénario (Delcourt), que le dispositif narratif de la bande dessinée pouvait fort bien se passer de phylactères, et même de tout texte sans perdre de sa puissance (1). Après quatre ans où il n'a pas chômé par ailleurs en signant notamment, avec Giorgio Albertini, la série Chronosquad (Delcourt), il revient en solo et, cette fois, en noir et blanc, avec un nouveau pavé, également muet pour l'essentiel.

Un été, une mère confie sa fille, Lucie, âgée d'une dizaine d'années, à un jeune couple qui habite au bord de la mer, sur la côte ligure. Commencées sous la pluie, ses vacances s'annoncent un peu tristes. Ses hôtes se révèlent assez occupés - elle à son ordinateur, lui à toutes sortes de bricolages. Reste le chien, plutôt rigolo avec ses yeux exorbités, sa langue pendante, sa truffe frémissante et sa queue qui frétille. Avec lui Lucie s'emploie à explorer les environs : la maison où subsiste une caisse de jouets usagés des années 1960 et 1970, la plage où elle tente de faire voler un vieux cerf-volant et où un garçon de son âge ne demande qu'à échapper à la tutelle de son imposante grand-mère. Et elle est très vite confrontée à d'étranges phénomènes.

Une pâquerette disparaît mystérieusement, avant de resurgir ailleurs. De minuscules traces de pas apparaissent autour de la maison, puis de curieuses créatures : une sorte de Schtroumpf (sans bonnet) glouton et surtout des dizaines, des centaines de petits poissons sur pieds, qui ont aussi la particularité d'être doués de parole. Belle idée de l'auteur d'avoir donné une voix à la seule espèce qui, en principe, n'en a pas. Une île au large semble les abriter. Lucie fait tout pour que son hôte veuille bien l'y emmener. Sa quête, cependant, ne la mènera pas vers un univers fantastique, mais dans un passé troublé par un fait divers dramatique dont les résonances se font encore sentir à soixante-dix ans de distance.

Mêlant savamment les jeux et les fantasmes de l'enfance à l'histoire et aux méandres de la mémoire, Grégory Panaccione construit un brillant récit initiatique. Loin de constituer un simple exercice de style, le choix du muet permet à l'auteur, comme dans le cinéma des origines, de renforcer l'intensité dramatique de son récit, qui progresse d'une émotion à l'autre avec des personnages qui pour aphasiques qu'ils soient n'en sont pas silencieux pour autant.

(1) Voir notre avant-critique, « Le pêcheur pêché », dans LH 1015, du 24.10.2018, p. 45.