6 NOVEMBRE - CORRESPONDANCE Suisse

Robert Walser- Photo DR

A rebours des clichés le représentant en promeneur solitaire retiré du monde, image associée aux vingt-cinq dernières années de son existence passées derrière les murs d'un asile psychiatrique, Robert Walser a eu pendant la majeure partie de sa vie adulte une activité épistolaire continue et intense. Zoé, son éditeur suisse, en révèle la teneur et l'originalité en publiant, sélectionnées et présentées par Marion Graf, la traductrice quasi exclusive de Walser en français depuis 2000, et Peter Utz, préfacier de ce volume, 266 lettres parmi les 750 conservées. Un recueil d'autant plus intéressant que cette correspondance, qui s'étale sur plus de cinquante ans, est au coeur de l'oeuvre, nourricière, indispensable "complément de sa créativité littéraire".

La première lettre reproduite date de 1897, peu avant la première publication de ses poèmes. Walser a 19 ans. Elles sont regroupées par périodes qui coïncident avec les principaux lieux de résidence du poète : Berlin (1905-1913) puis Bienne (1913-1920), sa ville de naissance, Berne (1921-1929), l'asile de La Waldau où il est hospitalisé pour désordres mentaux, et enfin, à partir de 1933, l'hospice d'Herisau qui l'accueillera jusqu'à sa mort en 1956.

Ce sont des lettres très peu privées, même quand Walser, avant-dernier d'une famille de huit enfants, s'adresse à ses deux soeurs, Fanny et surtout Lisa, dont il est le plus proche. On n'y apprend donc peu de choses intimes sur l'homme Walser, mais beaucoup sur l'écrivain et son rapport à l'écriture. Ainsi que sur le monde littéraire sous ses aspects les plus pratiques, comme le montrent ses relations avec ses différents éditeurs et les responsables des revues d'Europe germanophone avec lesquelles le feuilletoniste qu'il est devenu dans les années 1920 collabore. Lettres dans lesquelles, "commis de sa propre entreprise littéraire", il fait l'article de son oeuvre, négocie ses "honoraires", argumente jusqu'au choix des caractères typographiques... Mais les plus nombreuses et les plus personnelles sont celles (183 au total) adressées à son amie et "muse" Frieda Mermet, lingère au Bellelay et "axe vital de la vie affective et professionnelle de Walser pendant vingt ans". Etrangère au milieu littéraire, elle le nourrit dans tous les sens du terme, le ravitaillant régulièrement en fromage, thé, sucre... En retour, il lui envoie, entre remerciements appuyés, des nouvelles de son travail et "d'indigentes chaussettes dignes de reprises"...

A partir de 1933, où "Walser choisit de vivre sans écrire", et jusqu'en 1949, date de la dernière lettre reproduite, adressée au mécène zurichois Carl Seelig, les destinataires se raréfient. Ne reste presque rien du paradoxe du célibataire pris entre "le besoin de relation et l'angoisse de toute attache" qui a longtemps habité ses lettres. Et rien de l'ambition telle que Walser la formulait à l'une de ses interlocutrices privilégiées, Flora Ackeret, au début de sa vie d'écrivain : écrire au monde entier.

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