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Au Grand Bivouac, les héros discrets de la littérature de voyage

Du 16 au 20 octobre, le salon du livre du Grand Bivouac se déployait sous la bannière "Veines d'écrivaines". - Photo EC

Au Grand Bivouac, les héros discrets de la littérature de voyage

Du 16 au 20 octobre à Albertville (Savoie), le salon du livre du Grand Bivouac, festival du film documentaire et du récit d'aventure, a fait la part belle à la littérature de voyage. Porté par un renouvellement des formes narratives, des talents émergents et des éditeurs indépendants toujours très investis, le genre conserve son dynamisme. 

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Par Élodie Carreira , à Albertville,
Créé le 20.10.2024 à 16h00

On connaît de la littérature de voyage ses héros prescripteurs et ses best-sellers. De Kessel à London, en passant par Bouvier ou Tesson, tous ont nourri le fantasme du baroudeur solitaire. Si l’offre éditoriale mise encore sur ces narrations à la première personne, d’autres récits émergent, tout comme de nouvelles plumes au regard neuf. Animée par la volonté de souscrire à ces témoins du monde moderne, la 23ᵉ édition du Grand Bivouac, salon du film et du livre d’aventure d’Albertville (Savoie), a donné rendez-vous, du 16 au 20 octobre (les projections ont commencé, elles, le 14), aux petits représentants éditoriaux du secteur.

« Si les canons de la littérature de voyage restent sensiblement les mêmes, c’est-à-dire la description, l’ailleurs, le paysage, on observe tout de même une forme de mutation. Dans les films documentaires comme dans les livres, apparaissent des formes de narration qui se décentrent de l’expérience du voyageur », acquiesce Jean-Sébastien Esnault, délégué général de la manifestation. 

Une immersion totale

Du côté des éditeurs, le phénomène s’illustre parfois par un étonnant recours à la fiction, là où la littérature de voyage tend, d’habitude, à glaner sa matière dans le réel. « Entre biographies, récits à la première personne, roman, il y a énormément de choses à faire dans la littérature de voyage, c'est un secteur encore très dynamique ! En revanche, j’ai le sentiment, aujourd'hui que les lecteurs veulent s’immerger complètement dans un univers, lui-même nourri d’une certaine réalité », détaille Isabelle Parent, directrice des éditions Paulsen, qui n’a pu se libérer en raison des dates de la Foire de Francfort.

Grand Bivouac
« En tant qu’indépendants, on ne fait que ça la littérature de voyage. Mais les succès des grandes maisons ont aussi quelques retombées sur nous » - Stéphanie de Bussierre- Photo EC

Avec sa collection « La Grande Ourse », la maison a fait le pari d’explorer la complémentarité des genres, éditant de nouvelles plumes à l’instar d’Anaïs Pélier. Médecin généraliste de formation, l’autrice s’est notamment inspirée de ses voyages en Antarctique pour tirer un premier polar polaire, Caravane, écoulé à plus de 4 500 exemplaires. De la même façon, Delphine Minoui – invitée fidèle du Grand Bivouac et autrice de Badjens (Seuil) –, a finalement troqué sa casquette de reporter contre de puissantes héroïnes incarnant la résistance iranienne.  

Nouvelles plumes, nouvelles narrations ?

Également conviée à la manifestation, Virginie Troussier a évoqué son travail autour de Nicolas Jaeger (L’homme qui vivait haut, Guérin) lors d’une rencontre littéraire en présence de Jennifer Lesieur, spécialiste de Jack London, Rose Valland ou encore Alexandra-David Néel, et de Sarah Marty (Soixante jours, Denoël). « Toutes trois ont la particularité d’avoir écrit des textes s’éloignant des codes de la biographie classique », a commenté la journaliste en charge de la modération, insistant sur la mise en lumière de vies invisibles.

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Rencontre littéraire "Sur les traces d'un(e) autre : la magie de la biographie" avec Jennifer Lesieur, Sarah Marty et Virginie Troussier.- Photo EC

Doit-on voir une corrélation entre renouveau du genre et plumes féminines, alors même que le salon du livre, cette année, se déployait sous la bannière « Veines d’écrivaines » ? « Je crois que les femmes ont tendance à s’intéresser à d’autres matières, presque anthropologiques, comme la famille, la société », tente Lionel Bedin, patron de la petite maison Livres du monde et auteur d’un recueil de voyages féminins. Si le postulat n’est pas gage de vérité, certaines structures indépendantes n’hésitent pas à s’en inspirer pour se démarquer sur un marché économiquement dominé par les labels spécialisés des grandes maisons.

« Je publie à 99 % des femmes » raconte Stéphanie de Bussierre, à la tête d’Akinomé. Maison spécialisée dans le voyage et l’écologie, cette dernière publie une douzaine de nouveautés par an, dans le rayon jeunesse et adulte. Engagée sur le plan environnemental, l’éditrice prend garde à ce que ses auteurs fassent des voyages de longue durée et à ce que l’ensemble de ses titres soient « non couchés et non pelliculés ».

« Sur les salons, on fait un carton ! »

Avec dix autres éditeurs, dont Transboréal, Magellan & Cie, Nevicata ou les éditions du Mont-Blanc – qui ont notamment introduit le polar de montagne à leur catalogue –, la maison fait partie de l'Union des éditeurs de voyage indépendants. À elle seule, l’organisation représente 3 500 titres de littérature de voyage. Une stratégie de mutualisation des moyens qui, jusque-là, a su conjurer l’ensemble des conjonctures défavorables. « Sur les salons, on fait un carton !, se félicite Marc Wiltz, président de l’UEVI et fondateur de Magellan & Cie. Rien que la semaine dernière, au festival du livre de poche de Bordeaux, nous avons écoulé plus de 600 titres. »

S’il admet que le segment doit une partie de son succès à la fiction – sa collection « Miniatures », constituée de nouvelles de littérature étrangères, en est un illustre exemple – le dirigeant des éditions Magellan & Cie temporise. « Ce qui nous maintient, c’est avant tout un fonds de titres qui continuent de se vendre dix ans après », argue-t-il.

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Sur le salon du livre, plus de 1000 références ont été commandées par la librairie des Bauges, outre le catalogue des éditeurs conviés.- Photo EC

Alors qu’elle commence tout juste à développer une collection de « poésie voyageuse » inaugurée par les textes de Iocasta Huppen, Laurence Vanderhaeghen, directrice des éditions Partir Pour, continue donc d’alimenter son catalogue de « récits personnels, mais universels ». Son label « Errances » renoue ainsi avec les traditionnels carnets de voyage, pensés comme des « titres à glisser dans sa poche ».

Développer et pérenniser le fonds du catalogue

In fine, l’objectif reste le même, peu importe les contours qu’il arbore : proposer au lecteur une expérience immersive. Après avoir adapté en bande dessinée les grands récits d’aventure du début du XXe siècle – Voyage avec un âne à partir des textes de Robert Louis Stevenson ou Nostromo d’après l’œuvre de Joseph Conrad, les éditions Futuropolis s’essayent aussi à la non-fiction. « On a longtemps considéré les carnets de voyage comme des instantanés, mais je crois qu’aujourd’hui, il s’agit aussi de développer un fonds documentaire avec de la non-fiction pour raconter autre chose », explique Frédéric Schwamberger.

Ravi du succès connu par Le droit du sol d’Etienne Davodeau (2021), sorte de reportage-témoignage écoulé à plus de 170 000 exemplaires, le directeur de la maison a réitéré l’hybridation du genre avec le road-movie d’Einstein et d’Etienne Klein dans L’éternité béante et annonce, pour la fin de l’année, une odyssée cartographique de Ptolémée avec Geographia, signé Jean Leveugle et Emmanuelle Vagnon, et en collaboration avec la Bnf.

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