Claudine Galea fait partie de ces gens qui peuvent écouter en boucle une chanson, une musique, pour les faire entrer dans leur corps par tous les pores, Jusqu'aux os pour reprendre le titre de son ardent premier roman, paru en 2003 au Rouergue. Fille du Sud aux yeux clairs, auteure discrète pourtant à la tête d'une oeuvre déjà conséquente, elle garde à 50 ans, vibrante en elle, l'adolescente qu'elle fut.
Si elle a quitté Marseille pour s'installer à Paris, il y a déjà quelques années, elle reste, dit-elle, très liée à sa Méditerranée natale. C'est en partie là, dans un cabanon au fond d'un jardin provençal familial, qu'elle a écrit Le corps plein d'un rêve (Rouergue, "La Brune"), une création littéraire composite, en forme d'exercice d'empathie-sympathie, hommage à la rock'n'roll girl Patti Smith. Et plus largement aux artistes grâce auxquels cette lectrice fervente a inventé sa vie : Virginia Woolf, Anaïs Nin, Faulkner, Simone de Beauvoir, Marguerite Duras...
Au départ de ce dernier livre, il y a un texte pour la radio, commandé fin 2006 dans le cadre d'une série sur les icônes du rock pour France Culture. Sept vies de Patti Smith obtiendra le prix des Radiophonies 2008, et l'auteure verra l'année suivante l'ensemble de son travail radiophonique récompensé par le prix Radio SACD. "Lorsque j'ai écrit cette fiction, se souvient l'écrivaine, je ne savais pas que ça ne s'arrêterait pas là, mais j'avais mis en branle un tel matériau documentaire et imaginaire qu'il occupait toujours mon esprit et continuait à cheminer en moi." A cette époque, elle commence un autre roman, mais Patti Smith la rattrape. Et pourquoi échapper à ses désirs profonds...
Car Claudine Galea écrit comme elle aime. Absolument. Entièrement. Tendue, au bord du larsen. Pour elle, littérature et musique sont depuis longtemps liées. Ce n'est d'ailleurs pas la première fois qu'elle invite des chanteuses dans ses livres. L'Américaine Shannon Wright signait par exemple une sorte de bande-son de L'amour d'une femme, récit d'un violent chagrin d'amour paru au Seuil en 2007. C'est Laure Adler qui avait édité ce livre durant son bref passage à la tête du département Littérature du Seuil, après avoir lu Au bord (Espaces 34), un texte "outregenre", autour d'une célèbre photo prise dans la prison d'Abu Ghraib.
Sans doute, ce qui fait le lien entre toutes les pratiques d'écriture qu'a expérimentées l'écrivaine, c'est la mise en voix, le passage des mots par le corps. Ainsi Claudine Galea écrit-elle tout naturellement, depuis ses débuts en littérature, pour le théâtre. Plusieurs de ses textes dramatiques, publiés chez Espaces 34, ont été montés. Elle-même, qui a été fugitivement comédienne, et qui raconte ici son désir longtemps frustré d'apprendre à jouer du piano, satisfait son goût de la scène dans des lectures accompagnées de musiciens (prochainement aux Correspondances de Manosque). A l'intérieur des textes aussi, elle module ces différents timbres, entremêle les langues : français et anglais en VO, définitions du dictionnaire, paroles de chansons et articles de journaux... Tout ce qui peut faire sons.
Labeur et plaisir
Et puis, elle veut mélanger, confronter les disciplines créatives. Adultes, enfants, ados, homme, femme..., elle ne veut être piégée dans aucune catégorie. L'été où le ciel s'est renversé, le texte qu'elle vient de terminer, où les personnages passent sans cesse de l'âge de 14 à 40 ans, sera mis en scène en janvier à Strasbourg par une compagnie identifiée jeune public, mais c'est dans une collection pour adultes qu'il sera publié chez Espaces 34. Et on trouve dans sa bibliographie aussi bien des romans dits pour jeunes (Rouge métro dans la collection "DoAdo noir" du Rouergue) qu'un roman graphique, Morphoses, illustré par Goele Dewanckel - avec laquelle elle a également cosigné un album, Au pays de Titus -, ou encore un texte imaginé à partir des photos de Colombe Clier dans la collection "Photo roman" chez Thierry Magnier... "J'écris à plusieurs endroits, ce qui est une position inconfortable parce qu'en France les genres s'excluent les uns les autres", constate celle qui a encore l'impression d'être vue comme "une nouvelle arrivée" ou une "revenante dans un genre", chaque fois qu'elle publie un nouveau livre.
"I have no fear", le secret libérateur de Patti Smith, révélé il y a plus de trente ans, résonne encore comme un objectif de vie. Et c'est le mantra qu'on imagine qu'elle se répète quand elle est attablée dans son cabanon d'écriture, ce "lieu manuel fait pour les travailleurs - on y range les outils -, et le plaisir de vivre - on peut y faire la bringue avec des amis -", qui correspond si bien à sa conception de l'écriture : "Un mélange indistinct de labeur et de plaisir."
Le corps plein d'un rêve de Claudine Galea, Rouergue, « La Brune », ISBN 978-2-8126-0208-5, 14,50 euros, 136 p., sortie le 7 septembre.