Le temps des souvenirs. Le vase de cristal, premier album d'Astrid Goldsmith, réalisatrice britannique de films d'animation, débute de façon tragicomique par l'organisation absurdement compliquée des funérailles de Gisela, la grand-mère de l'autrice. L'affaire n'est pas simple : la vieille dame, juive allemande, habitait à Fribourg en Allemagne tandis que le reste de sa famille vit en Angleterre et en Belgique ; le cimetière où elle aurait dû être enterrée affiche complet ; le rabbin local vient d'être démis de ses fonctions pour détournement de fonds ; et la préposée à la cérémonie est insupportable.
Lauréat du prix Observer/Jonathan Cape/Comica de la meilleure nouvelle graphique 2021, ce premier chapitre donne le ton de cet album où un humour ironique et désabusé le dispute à la mélancolie. À la suite de l'enterrement, Astrid et son père, les seuls de la famille à être à peu près disponibles et surtout à savoir conduire, doivent aller vider le deux-pièces de Gisela à Fribourg, trier ses affaires et enfin tout rapporter à Londres où aura lieu le partage. Cette succession sera l'occasion pour le père et la fille de se rapprocher, mais aussi pour les petits secrets, les drames enfouis et les jalousies de refaire surface.
Prenant comme points de départ des objets ayant appartenu à Gisela, Astrid Goldsmith entrelace les péripéties du déménagement et de l'héritage, et le passé tragique de sa famille. Pour certains, l'histoire s'arrêta dans les camps nazis. Pour d'autres, elle continua à travers le monde, aux Pays-Bas, au Chili et jusqu'en Rhodésie du Sud (aujourd'hui le Zimbabwe), où les grands-parents d'Astrid se rencontrèrent et vécurent avant leur retour en Allemagne en 1976 (l'arbre généalogique liminaire se révèle bien utile pour suivre tous ces destins).
Avec vivacité et sans pathos, dans un récit bien orchestré et grâce à son dessin d'une grande lisibilité, Astrid Goldsmith brasse une multitude de thèmes. Elle évoque la construction du roman familial et la recherche de l'identité, réfléchit au racisme et à la répétition de l'histoire (ses grands-parents n'éprouvaient pas de culpabilité à vivre dans un pays ségrégationniste), s'interroge sur la mémoire et l'attachement aux objets du passé. Il y a aussi des enjeux plus personnels : la relation d'Astrid avec ses parents et sa difficulté à les accepter tels qu'ils sont, l'impossibilité d'échapper aux injonctions familiales, la prédation...
Dans la lignée de Nous n'irons pas voir Auschwitz et des Fantômes de la rue Freta de Jérémie Dres (Cambourakis, 2011, Bayard, 2025), et de La propriété de Rutu Modan (Actes Sud BD, 2013), ce Vase de cristal transcende l'intime pour atteindre une portée universelle. Il se clôt sur des pages apaisées. Le passé est accepté, assimilé, absorbé. Les souvenirs, physiques comme mémoriels, ont trouvé leur place.
Le vase de cristal
Steinkis
Traduit de l’anglais par Mathilde Tamaé-Bouhon
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 22 € ; 208 p.
ISBN: 9782368469491
