Livre électronique ou audio, plateformes d’écriture, liseuse… Le numérique s’est invité ces dernières années dans l’industrie du livre jeunesse. Quel est son impact sur nos pratiques culturelles ? La question est soulevée lors d'une table ronde "La littérature jeunesse au défi du numérique" des Assises de la littérature jeunesse. La 4e édition de la manifestation organisée par le Syndicat national de l'édition (SNE) s’est tenue le 9 octobre à la Bibliothèque nationale de France (BnF). En fin de matinée, la rencontre animée par le journaliste Laurent Carpentier a réuni plusieurs spécialistes.
Premier constat ? La recommandation littéraire est devenue plus horizontale avec les réseaux sociaux. "Nous sommes beaucoup dans le ressenti et dans l’échange des émotions", estime Jeanne Seignol, journaliste et booktubeuse. Elle prend l’exemple d’un jeune TikTokeur qui se filme en larme après avoir lu un livre : d’autres utilisateurs vont chercher à avoir les mêmes émotions à travers le même livre. Le psychologue et psychanalyste, expert des mondes numériques Michael Stora évoque également une certaine "intimité exposée" sur ces plateformes sociales. Une nouvelle façon de consommer la littérature loin d’une pression sociale. "Le fait de pousser la porte d’une librairie ou d’une bibliothèque peut faire un peu peur", affirme Jeanne Seignol. Celle qui anime notamment le Arte book club a consacré un documentaire sur la tendance du Booktok.
À l’aide de TikTok, la jeune génération a aussi davantage accès à des genres variés comme le young adult. La directrice des opérations de la bibliothèque en ligne YouScribe Anne-Sophie Steinlein abonde : "Le numérique permet de se dédouaner d’une pression, celle d'une jeunesse parfois matraquée par des lectures sérieuses".
L’incontournable question de l’intelligence artificielle
Pour Anne-Sophie Steinlein, l’IA est un outil à ne pas négliger. "L’IA permet de créer des jeux de métadonnées en fonction des titres et des zones géographiques et donc de développer la découvrabilité des titres", explique la directrice des opérations. Elle fait référence au projet Emergences proposé par Youscribe dans le cadre d’un appel d'offres du ministère de la Culture français et de son homologue québécois. L'outil génère des métadonnées construites en fonction des requêtes et des usages des internautes selon les bassins de population-cible.
L’un des principaux risques de cette technologie pour Michael Stora est un "appauvrissement de la narration" dans les processus créatifs. Une idée que soutient également une jeune écrivaine assise dans le public : "converser avec Chat GPT pour travailler des points de narration équivaut à scier la branche sur laquelle on est assis en tant que créatif car nous entraînons l’IA à faire notre travail". De l’auditoire, elle souligne également l’impact environnemental des requêtes sur les plateformes d’IA, ainsi que la question des droits d’auteur.
Jeanne Seignol, qui prépare un documentaire sur l’IA, s’inquiète de la destruction de certains métiers, mais invite "à ne pas douter non plus de l’importance de l’humain". Au sein de l’auditorium de la BnF, la directrice de la communication du SNE Hélène Conand a rappelé que le syndicat a co signé une tribune avec près de 70 acteurs du monde culturel pour interpeller le gouvernement français sur ces questions.
