Il n'y a que le mensonge qui soit vrai. La rêverie, au moins. Ça fait des livres, ça fait des vies. Tout au long d'une œuvre qui commence, tant par sa prolixité que par sa qualité, à être l'un des meilleurs témoignages que l'on puisse garder de ce temps, Arnaud Cathrine prouve qu'il est un rêveur. Un mensonge qui dit la vérité. Voilà que quelques mois à peine après son dernier « recueil », J'entends des regards que vous croyez muets (Gallimard Verticales), le revoici, cette fois-ci chez Flammarion, avec un volume éblouissant de justesse et de douce et triste fantaisie, Andrew est plus beau que toi.
Le projet est en lui-même intrigant. Il est issu du projet artistique « Anonymous Project », dédié à la collection de diapositives anonymes venues du monde entier et aujourd'hui riche d'un fond qui compte plus de 700 000 images toutes venues du demi-siècle dernier. Si d'autres ouvrages de ce même type devaient suivre, on en retrouve dans ce volume près d'une centaine, toutes choisies par l'auteur, et toutes issues de l'univers particulier et mouvant de la Californie, des années 1940 aux années 1980. Il serait absurde de considérer qu'Arnaud Cathrine ne fait que les légender. C'est un véritable univers romanesque qu'il bâtit autour, celui d'une famille blanche et « middle class », les Tucker, et tout particulièrement, leurs deux enfants, garçons distants de quelques années à peine, Andrew et Ryan, qui passeront leurs vies à se croiser, se retrouver et s'aimer. Un univers aussi de « home sweet home », de goûters, de premières rencontres, de piscines et de réunion de famille. On pourrait être chez John Cheever. Les garçons grandissent, les désirs s'organisent, se précisent, les adultes font de plus en plus vœu de silence, parfois quelqu'un s'absente, une image manquante. Jamais la littérature. Ce qui s'organise autour d'eux, c'est ni plus ni moins, que l'histoire d'un pays, de la désintégration de son rêve, de ce que John Updike appelait « la civilisation de la tondeuse à gazon ». Arnaud Cathrine s'y entend mieux que personne pour ces petits désastres. Il le fait sans rien de ce réalisme social qui alourdit trop souvent ce genre de récit, mais avec cette délicatesse tendrement ironique qui est sa marque de fabrique et qui peut parfois chez ce grand amateur de Sagan, rappeler quelque chose du meilleur de son modèle... A la fin, il n'y a plus d'images, plus d'avenir ni d'illusions. De toute façon, entre Andrew et Ryan, c'est autre chose. A jamais.
Andrew est plus beau que toi - Edition The anonymous project
Flammarion
Tirage: 8 000 ex.
Prix: 21 euros ; 180 p.
ISBN: 9782081485266