Depuis le début d'année 2025, le marché du livre ukrainien traverse l’une des périodes les plus critiques de son histoire, accablé par la quatrième année d’invasion russe. L'année avait commencé par la destruction des locaux de l'Union nationale des écrivains d'Ukraine, puis l'intensification des bombardements russes au printemps ont touché durement le secteur : destruction des maisons d'édition Krokus, Ïzhak, Ukrainsky Priorytet, dégâts sur la bibliothèque Skovoroda de Kiev, de l'imprimerie MaisterKhyh, de la librairie Book.ua...
Dans ce contexte, la Chambre du livre d'Ukraine fait état d'une relative stabilité dans le nombre de titres publiés comme sur les tirages au premier semestre 2025 : 6 680 titres pour 13,2 millions d’exemplaires, soit des volumes similaires à 2024 (environ 35 millions de titres imprimés sur toute l'année vs 10 en 2022 et 70 en 2013). Mais, sur la même période, les éditeurs soulignent un recul des ventes pouvant atteindre 20%. « L’émotion collective, l’épuisement et le recul du pouvoir d’achat sont avancés comme principales causes, et le printemps s’est avéré particulièrement morose », indique le média ukrainien du marché du livre Chytomo. Ce dernier cite aussi une fragilisation générale du modèle économique des éditeurs comme des libraires dû à l'augmentation du prix du papier, de l'électricité et des hausses de salaires.
Nouvelles tendances : l’anglais et l’évasion
Évolutions marquantes de 2025 : la montée en puissance des publications en anglais, désormais deux fois et demie plus nombreuses que celles en russe. Alimentée par des exigences législatives et un goût croissant pour l’international, la tendance concerne surtout des œuvres populaires tombées dans le domaine public et répond aussi au désir d’une partie des lecteurs de lire en VO, phénomène dynamisé par l’influence de BookTok.
Autre tendance relevée cette année : le besoin d'évasion dans la lecture face à la lassitude de la guerre, traduit par le succès massif de la fantasy et romantasy comme les sagas de Sarah J. Maas ou Rebecca Yarros, qui cumulent des dizaines de milliers de ventes.À l'inverse, les ouvrages axés sur le conflit ne suscitent plus l’engouement, sauf s’ils passent par le filtre du témoignage ou de la fiction émotionnelle. Ce phénomène est amplifié chez les jeunes, pour qui la littérature de guerre perd de son attrait au profit de lectures plus joyeuses.
Déclin du livre jeunesse, mais ruée sur les auteurs ukrainiens
Par ailleurs, le secteur du livre jeunesse traverse une crise profonde, conséquence directe de l’exode massif (5,6 millions d’Ukrainiens réfugiés à l’étranger, dont près d’un tiers d’enfants), mais aussi du désintérêt grandissant pour la lecture. « Les maisons spécialisées diversifient en urgence leurs catalogues pour survivre, alors que la fréquentation des événements jeunesse et les achats sont logiquement en forte baisse », explique Iryna Baturevich, à la tête de Chytomo. Les professionnels pointent le manque de programmes publics pour renouveler les bibliothèques scolaires et nationales, et estiment urgent de revaloriser la lecture auprès des élèves.
Malgré ce climat morose, la demande pour les auteurs ukrainiens connaît un boom inédit à l'international : éditeurs et agents se disputent toujours les plumes locales après des années de désintérêt. Cette dynamique nourrit à la fois le roman d’évasion et la non-fiction ancrée dans le vécu de la guerre en Ukraine.