En trois romans seulement, Le Chagrin des vivants, La salle de bal et Nos espérances (Gallimard, 2016, 2017 et 2020), tous aussi magistraux, la comédienne britannique Anna Hope s'est imposée comme l'une des voix essentielles du paysage littéraire de son pays. La voilà désormais traduite en français à l'enseigne de la jeune maison d'édition Le bruit du monde (où elle a suivi celle qui l'éditait jusqu'alors, Marie-Pierre Gracedieu) pour son nouveau roman Le rocher blanc, peut-être le plus ambitieux et abouti d'entre tous et qui devrait à coup sûr être l'un des évènements de cette rentrée en littérature étrangère.
2020. Une dizaine d'individus venus de tous les horizons du monde et animés par une identique quête que l'on qualifiera pour simplifier de chamanique, sont brinquebalés dans un pauvre autobus sur les routes et les pistes du Mexique jusqu'à un grand rocher blanc qui est espéré comme une résolution... Parmi eux, une écrivaine britannique, 45 ans, accompagnée de son mari dont elle est en train de se séparer et de leur fille de 3 ans. Elle prétend être là pour trouver des idées pour son prochain livre et aussi pour être fidèle à la promesse faite de remercier par ce pèlerinage pour la naissance si longtemps attendue de son enfant. Les désirs, les siens, ceux des autres, sont parfois indémêlables...
D'autres histoires vont bientôt faire écho à la sienne. Celle, en 1969, d'un chanteur ayant fui son pays (les États-Unis), le miroir aux alouettes de la gloire et la guerre au Vietnam, pour se ressourcer auprès de ce même bout du monde mexicain. Il faudrait aussi parler de cette fille arrachée dans les premières années du siècle dernier à sa terre natale ou de ce jeune lieutenant qui en 1775 rêve de conquêtes le long de la côte Pacifique et qui y laissera, avec de terribles conséquences, sa raison. Tant d'histoires où la violence de la perte se marie avec l'espoir fou d'une sorte de consolation.
Anna Hope orchestre cette symphonie endeuillée avec une rare maestria, une stupéfiante puissance d'évocation. Ce Rocher blanc, méditation autour d'horizons fuyants et des croisements des destins, est aussi un grand roman politique (il n'est d'ailleurs pas indifférent de noter l'engagement, de notoriété publique, de son autrice sur le front de la lutte en faveur de l'écologie) en même temps qu'une réflexion profondément féministe. Une histoire d'amours et de départs où ce qui fait retour, c'est la dépossession de soi et du monde.
Le rocher blanc Traduit de l’anglais par Élodie Leplat
Le Bruit du monde
Tirage: 40 000 ex.
Prix: 22 € ; 336 p.
ISBN: 9782493206053