«Il est pour nous, avec François Maspero, le plus bel exemple de ce que peut être le métier d’éditeur», déclare dans un communiqué l’équipe de La Fabrique, qui publiait les livres d’André Schiffrin en France. Né à Paris en 1935, l’homme a passé plus de cinquante ans dans l’édition aux Etats-Unis. Il est décédé, dimanche 1er décembre, à Paris, des suites d’un cancer du pancréas. Ce Franco-Américain était considéré comme «un homme influent du monde des lettres aux Etats-Unis», selon le New York Times, mais aussi en France où son essai L’édition sans éditeurs (La Fabrique), publié en 1999, lançait un premier cri d’alarme sur «les périls que font peser sur l’édition la concentration et la globalisation qui, en imposant des restructurations ruineuses, condamnent tout un secteur de la production littéraire, étiqueté comme non rentable». En expliquant les dérives de l’édition américaine, il mettait en garde contre l’évolution possible de l’édition française. Lui qui avait fui la France et les persécutions visant les Juifs, à l’âge de 6 ans, a vécu à New York auprès de sa mère et de son père, Jacques - le fondateur de la prestigieuse «Pléiade» - dans un univers intellectuel socialiste. En 1961, il prend la tête de Pantheon Books, une maison cofondée par son père, qui sera rachetée l’année suivante par Random House. André Schiffrin y restera vingt-huit ans et publiera Günter Grass, Jean-Paul Sartre, Michel Foucault, Noam Chomsky ou Marguerite Duras. Mais en 1990, il est renvoyé : Pantheon Books perd de l’argent. Un événement fondateur dans son parcours personnel. En guise de pied de nez, il crée un an plus tard The New Press, une maison d’édition de type associatif, qui reçoit à ses débuts l’aide de fondations et des dons. «Il a créé un modèle de maison d’édition défendant la pensée, en publiant des livres qui donnent la parole aux opprimés, aux ouvriers, aux femmes, aux Noirs…», explique Eric Hazan, gérant de La Fabrique, qui a aussi édité les deux autres volets de sa réflexion sur le monde de l’édition, Le contrôle de la parole en 2005 et L’argent et les mots en 2010.
Ce lanceur d’alerte, qui enseignait à Princeton et à la New School de New York, craignait surtout, à travers les fusions qui engloutissaient les maisons d’édition, «le contrôle portant sur la diffusion d’idées toujours plus strict dans une société que l’on aurait pu croire libre». Liana Levi, qui a publié son autobiographie Allers-retours en 2007, retient dans son hommage sur le blog des lecteurs du journal Le Monde son titre «devenu un slogan dénonciateur : L’édition sans éditeurs. Une phrase qui, aujourd’hui, est dans toutes les têtes». Sandrine Martinez