Max et Tina se sont rencontrés il y a vingt-six ans, à Bâle. Un authentique coup de foudre. Depuis, ils forment un couple fusionnel, uni pour les grandes choses, mais désespérément querelleur sur les détails. Un soir, en plein hiver, dans l'Oberland bernois, alors qu'ils tentent de franchir le col de Bellegarde, leur voiture fait une sortie de route, et ils se retrouvent coincés dans la neige. Impossible de bouger. La seule solution : attendre les secours, en essayant de ne pas geler. Il est 20h46. Leur nuit va être longue.

Alors, pour tuer le temps, et éviter de se disputer avec sa femme sur le mode du « je te l'avais bien dit », Max va improviser pour Tina un formidable récit. Un conte de fées tendre et un peu tragique, afin de lui faire oublier leur sort. Et l'histoire, présentée comme authentique, est si palpitante qu'on en arrive à oublier les interventions intempestives de Tina, lesquelles scandent le récit comme pour mieux le relancer.

On se retrouve en septembre 1779, dans le pays de Gruyère, pas bien loin. Un jeune homme de 20 ans, Jakob Borschung, un beau garçon trapu, solide, solitaire et sauvage − orphelin, il a été élevé par un oncle sadique −, berger et fromager de son état, tombe sous le charme de Marie, 19 ans, fille du riche fermier Magnin, lequel voit d'un très mauvais œil cette passion naissante et réciproque. Grâce à Mathilde, la disgracieuse nièce du curé, amie de Marie, la jeune fille et son amoureux se voient en cachette, puis s'enfuient quelques jours dans une lointaine cabane, pour de chastes étreintes. Mais le père, furieux, les fait traquer par ses gens. Jakob décide alors de partir pour la guerre, en tant que mercenaire enrôlé dans l'armée française pour huit longues années. Il est affecté en garnison à Cherbourg, où il ne se passera rien. Marie lui a fait serment de l'attendre, et résiste vaillamment aux tentatives paternelles de lui faire épouser quelque godelureau cossu.

En 1783, alors qu'un brouillard mortel causé par un séisme en Islande répand son gaz toxique dans toute l'Europe et jusqu'en France, les frères Montgolfier, encouragés par le roi Louis XVI, effectuent à Versailles les premiers essais de leur aérostat, la montgolfière. Marie, bien qu'elle ne sache pas lire, a vent de l'affaire par un colporteur, et ça la fascine. Avec Mathilde, elles se lancent dans leurs propres essais, et découvrent que ce n'est pas la fumée qui fait monter les ballons, mais la chaleur.

En 1787, Jakob, devenu le caporal Jacques Bosson, revient au pays incognito, retrouve Marie, et l'emmène dans sa cabane. Ils vivent enfin leur amour. Happy end ? Non. Près de Versailles, la princesse Élisabeth, la jeune sœur préférée de Louis XVI, s'est fait offrir le domaine de Montreuil, un mini royaume idéal, comme le Petit Trianon, isolé du reste du monde − croit-elle. Elle a besoin d'un berger pour ses vaches, et entend parler de ce Suisse expert. Elle le fait quérir et il demeurera à son service, heureux, jusqu'en 1789. La gentille princesse évente alors son secret et fait venir Marie. Elle les marie enfin, mais on est en mars, et la Révolution couve...

Jakob et Marie vivront encore bien des aventures, que Max raconte à Tina, captivée. La nuit s'est écoulée. Les secours arrivent. Le lecteur, lui, n'a pas vu le temps passer.