L'un est surnommé Box, l'autre, anonyme, n'est appelé que par son absence de nom, typographiquement traduit par « - », un long tiret qui restera à jamais vide tout au long de ces tribulations de malfrats aux gros bras. Pour son premier roman, Muscle, Alan Trotter plante le décor dans l'underground d'une ville qui pourrait être le New York des années 1950. L'ambiance noire et son acolyte, l'humour, tout aussi noir, sont parties prenantes de l'entreprise criminelle du binôme baraqué susmentionné. Crime cherche criminels. Box et « - » sont désœuvrés, quoiqu'ils soient des pros. Impayés ? Factures qui traînent, cotisations oubliées ? Pas de problème, le duo s'en charge, façon huissiers musclés. Même sans créance, il y a bien des gens que vous ne pouvez pas piffer, l'humanité est assez riche en individus dont la gueule ne vous revient pas et que vous verriez bien cassée. À cette question des contemporains saumâtres, la femme du van qui vend du café n'adhère pas, elle dit qu'ici tout le monde est adorable. Ce déficit de misanthropie crée le chômage. La paire de mercenaires s'en va chercher du boulot ailleurs. Dans le quartier, comme dans la vie, personne ne manque ni d'ardoises ni d'ennemis. Nos deux compères brisent des os, dégainent lames et flingues et terrorisent à qui mieux mieux. Dans le récit picaresque de Box, le narrateur, se glissent les « interludes » mettant en scène un autre duo, Charles et Hector, telle l'ombre portée du premier, saynètes dérisoires entre Beckett et comics indé qui interrogent la notion même de mystère.

Le primo-romancier écossais connaît tous les codes de l'intrigue policière ou de l'histoire d'horreur qu'on a qualifiée en anglais de pulp, d'après la pâte à papier de mauvaise qualité dont on tirait les pages sur lesquelles était imprimée cette littérature de genre. Une affaire de goût - le plaisir de retrouver tous les archétypes de l'assassin et la litanie des macchabées, une petite madeleine kitsch trempée d'hémoglobine. Aussi, si le crime a un mobile, et qu'il faut bien choper son auteur, peu nous chaut qui l'a fait. Avec Trotter, c'est autre chose qu'on achète : un cocktail de mauvais genres, une esthétique gore doublée d'un doute métaphysique. Le cadavre ne bouge plus et le Mal court encore. Chacun a ses raisons, et tout se passe comme si la somme des parties annulait le tout : la Raison. Il n'y a pas de logique, zéro sens, c'est absurde. Le réel c'est foutu, vive la fiction ! Alan Trotter, c'est du roman policier élevé au rang de l'art pour l'art. Du polar considéré comme un des beaux-arts.