Il y a d'abord eu Le premier amour (P.O.L, 2004, repris en Folio). Un volume où l'on suivait à la trace les tribulations sentimentales torrides de Santiago H. Amigorena, "l'illustre crapaud graphomane", épris de Philippine. Une accorte jeune femme, résidant 22, rue du Regard, qu'il allait aimer comme un fou pendant un an. Les revoici tous deux réunis dans La première défaite. Un étonnant fleuve de plus de six cents pages dans lequel il faut accepter de se laisser porter, bousculer. La donne a considérablement changé puisque ladite Philippine, comédienne à la peau d'amande et au goût de mangue, l'a entre-temps quitté. L'écrivain, scénariste et réalisateur raconte ici comment il l'a aimée sans relâche pendant quatre ans après qu'elle eut décidé de la fin de leur amour.
En ce temps-là, en octobre 1982, il allait avoir 20 ans. Santiago habitait un studio de quinze mètres carrés, avec mezzanine sur l'île Saint-Louis. Brisé par le départ de Philippine, qui allait ensuite fréquenter Christian Vadim puis Patrick Bruel, il n'est alors que douleur et souffrance, se comparant même, avec le recul, à un oursin ou une tique ! Le jeune homme a des journées simples et rythmées d'une manière identique : il pleure et écrit, tapant sur sa minuscule Underwood Standard Portable Typewriter des centaines de pages d'un seul jet, vingt-quatre heures à la suite, les brûlant après dans la cheminée.
Il n'a heureusement pas tout jeté et a conservé maints poèmes, qu'il glisse aujourd'hui dans son livre endiablé, en s'excusant pour leur naïveté. A l'époque des faits, quand il tient un "Journal d'un désespoir", Santiago sort peu de son île et reste le plus souvent à l'écart du continent, préférant aller marcher la nuit sur les quais, le plus près possible de l'eau. Avec ses amis insulaires, Juan, Gatti, Daniel, Catherine et Claude, il se nourrit principalement de crêpes. Pour se changer les idées, il revoit cette Marianne au "nez mutin" qu'il a brièvement aimée alors qu'il était en couple avec Philippine. Fils d'exilés, l'inconsolable décide de reprendre le chemin de Buenos Aires, la ville de son enfance, et aussi de Punta del Este, au bord de l'océan, à la recherche d'un temps passé, d'une terre perdue.
A son retour à Paris, le "jeune têtard valétudinaire" se perd momentanément dans la cocaïne, recueille une top-modèle qui prend pension sur sa mezzanine, s'abreuve de la Recherche de Proust et de l'Ulysse de Joyce. Lorsqu'il ne part pas à Londres, traîner dans le "désert vert" de Hyde Park, ou à Patmos... La première défaite, explique Amigorena, est "le second chapitre de la quatrième partie d'un projet littéraire commencé il y a vingt ans", projet qu'il a nommé pour lui-même "Le dernier texte". C'est cette démesure, cette ampleur et ce ressassement qui font justement la force d'un livre inclassable. Le témoignage gorgé de vitalité d'une vie vouée aux mots, aux sentiments et à l'écriture.