« Je ne suis pas un prophète, je ne l'ai jamais été mais j'ai gardé de ma longue fréquentation de la science-fiction le goût de lancer des hypothèses », expliquait Michel Houellebecq à Catherine Millet et Jacques Henric (Art press) en 2010. Si l'image d'auteur prophétique, qu'il réfute, colle à la peau de l'écrivain, c'est que les hypothèses avancées dans ses romans ont pu devancer la réalité. Tout commence avec Plateforme. Ce roman qui se clôt sur un attentat islamiste, paraît quelques jours avant ceux du 11 septembre 2001 et précède d'un an celui de Bali dont les circonstances rappellent terriblement le scénario du livre. Sa réputation d'auteur extralucide atteint son apogée en 2015 avec Soumission. Le roman d'anticipation dépeignant une France islamisée, paraît le 7 janvier, jour de la tuerie de Charlie Hebdo qui affichait en une une caricature de Luz intitulée « Les prophéties du mage Houellebecq » : « En 2015 je perds mes dents, en 2022, je fais Ramadan. »
Au-delà de ces coïncidences, qui participent à l'élaboration du « mythe Houellebecq », l'auteur a, comme il le confiait en 2001 à Josyane Savigneau (Le Monde), « une espèce de flair de cochon pour déceler ce qui va faire mal à la société ». Cette capacité à tourner sa plume dans les plaies de notre époque - la solitude contemporaine face à l'ultralibéralisme, l'aliénation face à la liberté, le spleen des classes moyennes... - fait de lui cet auteur si populaire... et controversé. Certains craignent le miroir tendu par l'auteur, comme Michel Onfray, désormais rallié à la cause houellebecquienne. Le philosophe déplore « avoir commis l'erreur » de ne pas aimer l'écrivain parce qu'il n'aimait « pas l'époque qu'il révélait » (Cahier de L'Herne, 2017) et définit l'auteur comme un « sismographe ». D'autres le rejettent, tel Jérôme Dupuis qui écrivait en 2015 à propos de Soumission : « La politique-fiction de Michel Houellebecq n'est en rien une œuvre visionnaire, tout juste une succession de fausses provocations » (L'Express). P. L.