Huysmans a pour personnage principal de son roman La cathédrale l’édifice religieux sis à Chartres. Anne F. Garréta a choisi la bétonneuse comme héroïne du sien, Dans l’béton, où le bâtiment reste à construire, à rebâtir puisqu’il s’agit d’une bicoque "inhabitable, invendable, inlouable", héritée par la mère du narrateur(e) - dont on ne sait pas le sexe, et à l’endroit de qui on se permet l’alternatif néologique au féminin pour marquer l’ambivalence et s’inscrire dans le ton de ce petit bijou de récit mâtiné de néofrançais à la Queneau, et clairsemé de petits grains de beauté précieux. Car Garréta, si elle puise dans l’argot, n’hésite pas non plus à faire parfois un bel accord du subjonctif ou à parler de "conséquences adventices" (c’est le critique qui souligne).
Mais revenons à notre béton. Dès l’incipit, on est embarqué dans une fiction à la scansion truculente, plutôt virile : "Le béton, c’est pas un métier de pédés." Celle ou celui qui raconte nous plante un décor familial où "on smodernise" (sic) mais avec des rôles archétypaux bien "genrés". Le père bricolo est du genre qui pisse dans le réservoir quand il n’y a plus assez d’essence ; la mère est une femme au foyer qui fait tourner de sempiternelles lessives, consternée de constater que rien n’est jamais assez propre, "la ptite sœur" (sic) une intello qui "agonit" le paternel quand elle n’est pas d’accord ; et, last but not least, le narrateur(e) lui-même, perfectionniste qui ne sait pas comment restaurer la vieille ferme : "C’est à cause de ça que je glande la nuit./Je passe de plus en plus de temps dans ma tête à tout réparer, à tout reprendre là où ça a foiré, là où ça a électroputé, là où ça a explosé, là où ça s’est dézingué, démantibulé, effondré./Je sombre dans la mélancolie./Je m’englue dans le fignolage et la glandulation." Petites leçons de choses et grande leçon d’écriture que ce Zazie dans le BTP. Sean J. Rose
