Baltimore, aux Etats-Unis aussi bien qu’en Europe, est devenue le symbole de la décadence urbaine : les personnages de The wire, auxquels la ville postindustrielle prête le cadre de leur humanité complexe et de leur trajectoire sociale souvent tragique, n’y sont pas pour rien. L’immense série-enquête de David Simon et Ed Burns, respectivement journaliste et policier dans cette ville, est encensée depuis plusieurs années comme une nouvelle Comédie humaine, qui donne à voir au gré des saisons les quartiers pauvres, le port en faillite, l’école impuissante, la mairie corrompue et le journal à l’affût du gros titre.
Les universitaires américains se sont vite emparés de la série. Didier Fassin, l’un des contributeurs de The wire : fictions du ghetto, souligne qu’elle est référencée plus d’une centaine de fois comme objet d’articles universitaires. En France, le très bon The wire :reconstitutions collectives, dirigé par Emmanuel Burdeau et Nicolas Vieillescazes (Les Prairies ordinaires, 2011), est l’unique précédent de taille au présent ouvrage, qui fait suite à un séminaire et un colloque organisés à Nanterre en 2012 réunissant les contributions d’auteurs français aussi bien qu’américains. Au fil des quatre parties et des treize chapitres, on y envisagera la série comme un outil de compréhension de la ville américaine, comme un miroir des institutions sociales - et donc comme une œuvre en dialogue permanent avec la sociologie dont elle se réclame -, mais aussi comme une œuvre de télévision, se revendiquant de la tragédie grecque et intéressant le champ des cultural studies. L’intention ouvertement critique de la série (David Simon a voulu montrer "un monde ou les règles et l’importance du marché libre […] passent avant tout et où les êtres humains ont de moins en moins d’importance") n’est pas passée sous silence. Au contraire, elle sert de fil conducteur : réalisme ? vraisemblance ? argumentaire ? Les réponses sont multiples, et permettent, en creux, de brosser un tableau nuancé de la ville américaine, voire occidentale. On croisera les promoteurs "brightsided" du centre-ville de Baltimore, qui happent les budgets municipaux pour une réhabilitation de cette zone, laissant de côté les habitants - piétonniser le vieux port en abandonnant les autres quartiers à eux-mêmes, une idée qui a fait date -, mais aussi Michel Foucault qui repéra la statistique comme concomitante de l’apparition de la police en tant qu’instrument de la raison d’Etat et finissant par l’asservir… Et beaucoup d’autres idées stimulantes. Car si les jeunes détenus de la maison d’arrêt de Nanterre jugent dans l’ensemble la série "trop violente" pour advenir en France, il est clair que la représentation de la trame sociale qu’elle propose n’est pas sans nous interpeller.
Fanny Taillandier