Grande tendance des deux rentrées précédentes, l’exofiction n’a pas dit son dernier mot. Même si la production 2016 porte le sceau du choc post-attentats, les romanciers continuent à s’emparer de la vie des autres, et tout particulièrement de celles de personnalités célèbres. Après s’être notamment penché sur les amours de George Sand et de Musset dans Les enfants du siècle (Seuil), François-Olivier Rousseau s’intéresse aux premiers pas d’un grand couturier avec Devenir Christian Dior (Allary). Bernard Chambaz propose une plongée dans la vie du champion de F1, Ayrton Senna, dans A tombeau ouvert (Stock). Le destin d’un autre pilote, d’avion cette fois, est dessiné par Jean-François Roseau dans La chute d’Icare (De Fallois), sur Albert Preziosi. Michel Embareck livre à L’Archipel Jim Morrison et le diable boiteux, récit d’une amitié fictive entre le meneur des Doors et Gene Vincent, auteur de l’intemporel Bee-bop-a-Lula. Michel Bernard, Michel Layaz et Jean-Michel Guenassia s’approprient la vie de peintres ; le premier signe à La Table Ronde Deux remords de Claude Monet, le deuxième Louis Soutter probablement (Zoé) et le troisième imagine les derniers jours de Van Gogh, loin de la version officielle, dans La valse des arbres et du ciel (Albin Michel).
Les écrivains s’emparent également des destins de leurs pairs et s’invitent plus particulièrement dans l’existence des poètes. Thierry Beinstingel ressuscite le célèbre auteur d’Illuminations dans Vie prolongée d’Arthur Rimbaud (Fayard). Les pêcheurs d’étoiles (Le Passage) de Jean-Paul Delfino raconte une nuit épique qui rassemble Blaise Cendrars, Erik Satie et Jean Cocteau, tandis que Vénus Khoury-Ghata s’attarde sur la pénible mort du Russe Ossip Mandelstam dans Les derniers jours de Mandelstam (Mercure de France). Lucie Desbordes se glisse dans la personnalité de son aïeule pour livrer chez Bartillat Le carnet de Marceline Desbordes-Valmore, journal intime de la poétesse tant admirée par Baudelaire ou Verlaine.
L’écho des attentats
Au-delà de la formule "inspirée de personnages réels", la réalité s’invite douloureusement dans la rentrée littéraire. Les écrits des romanciers français font écho au choc et au vertige que chacun a ressentis suite aux attaques terroristes de janvier et de novembre 2015. Certains imbriquent le basculement du monde extérieur dans celui des vies intimes de leurs personnages. Pour la narratrice d’A la fin le silence de Laurence Tardieu (Seuil), la faille du réel entraînée par les attentats entre en résonance avec la perte annoncée de ses propres repères puisqu’elle doit vendre la maison de son enfance. Chez Arnaud Cathrine, avec A la place du cœur (Robert Laffont) c’est le bouleversement d’un premier amour qui se mêle à celui causé par le massacre de Charlie Hebdo. Il est encore question d’amour dans Foudroyé de Gérard Krawczyk (Le Cherche Midi) qui met en scène un homme découvrant à la télévision le 8 janvier le témoignage déchirant de sa maîtresse, dont il est épris, qui vient de perdre l’amour de sa vie dans les attentats de la veille. D’autres s’attachent à raconter "ce jour-là". Avec Paris, 13 novembre 2015, Christian Lejalé livre chez Imagine & Co une fiction qui respecte scrupuleusement le déroulement d’un vendredi soir qui n’aurait dû avoir de marquant que la douceur de sa température. Sur la question du hasard et des microdécisions qui peuvent changer définitivement une vie, Julien Suaudeau bâtit Ni le feu ni la poudre (Robert Laffont), un roman qui suit, le temps d’une journée de novembre, cinq personnages qui se rapprochent ou s’éloignent de la salle du Bataclan.
Radicalisation et double nationalité
Après le choc, les questions. Déjà présent dans la production littéraire de la rentrée précédente, le sujet de la radicalisation s’invite de plus belle dans la production romanesque de l’automne. Mohamed Nedali interroge le processus d’embrigadement en prison dans Evelyne ou le djihad ? (L’Aube), l’histoire d’un jeune homme convaincu par son voisin de cellule de partir faire le djihad mais qui pourrait bien en être détourné par une belle rencontre. Une pointe d’espoir absente du roman de Fouad Laroui, Ce vain combat que tu livres au monde (Julliard), dans lequel un brillant ingénieur victime de discrimination raciale se retrouve au chômage avant de sombrer dans l’extrémisme religieux. C’est dans cet univers qu’enquête le jeune héros de L’homme qui voyait à travers les visages (Albin Michel), nouveau roman d’Eric-Emmanuel Schmitt qui s’ouvre sur une vague d’attentats qui ensanglante Charleroi. La question de la déchéance de nationalité, un temps envisagée par François Hollande pour punir les terroristes binationaux, a aussi inspiré certains écrivains. Nina Yargekov livre dans Double nationalité (P.O.L) un texte empreint d’humour qui explore la cohabitation chez la narratrice de plusieurs identités, tandis qu’Omar Benlaala évoque au travers de L’effraction (L’Aube) la binationalité, mais aussi l’islam de France.
Jeunesse dans la tourmente
Si les errances de l’adolescence représentent un thème récurrent de la littérature contemporaine, les romans français de la rentrée mettent aussi l’accent sur la quête de sens. Tropique de la violence (Gallimard) de Nathacha Appanah plonge le lecteur dans l’enfer d’une jeunesse désœuvrée et livrée à elle-même sur l’île française de Mayotte. Toujours chez Gallimard, Nicolas Idier ausculte une nouvelle génération de Pékinois qui, pour fuir la réalité, vivent d’excès (Nouvelle jeunesse). Perdus et désenchantés, les deux jeunes héros de Lithium, roman d’Aurélien Gougaud (Albin Michel), étanchent leur soif de vivre dans l’alcool et la fête. Boris Bergmann, dans Déserteur (Calmann-Lévy), rédige le journal intime d’un jeune homme en quête d’engagement qui se voit confier par l’armée française la programmation de drones tueurs. D’autres auteurs s’intéressent à ces jeunes des "quartiers" qui cherchent leur place dans la société. C’est sur ce sujet que se penche Magyd Cherfi, ancien parolier du groupe Zebda, dans Ma part de Gaulois, autofiction littéraire éditée par Actes Sud. De même, Driss raconte dans Le marquis Jamel de Sarcelles (Fleur sauvage) les échecs et les aventures d’un adolescent rêvant de découvrir autre chose que sa banlieue.
Un futur apocalyptique
Le climat anxiogène, particulièrement exacerbé depuis les attentats, donne naissance pour cette rentrée à des romans d’anticipation qui se font le reflet des craintes et des traumatismes de l’époque. Avec De profundis (Le Cherche Midi) Emmanuelle Pirotte plonge l’Europe dans le chaos suite à l’arrivée du virus Ebola III. Catherine Mavrikakis signe chez Sabine Wespieser Oscar de Profundis, une fable apocalyptique dans laquelle les riches ont abandonné le centre-ville de Montréal à des hordes de sans-abris. L’avenir n’est pas plus rose dans Carnage (Ring) de Laurent Obertone où une descente de police tourne au drame, entraînant le pays dans la guerre civile. Cette dernière menace l’univers manichéen que dessine Karim Amellal dans Bleu, blanc, noir (L’Aube), une plongée dans un pays dirigé par l’extrême droite. C’est sous le mandat d’une blonde facilement identifiable, ayant notamment instauré un "ministère du racisme efficace", que se déroule Moi, présidente, un roman signé Gérard Mordillat qui arrive chez Autrement. Ce sont aussi les femmes qui s’octroient, par la force, le pouvoir dans Les sorcières de la République (Seuil) de Chloé Delaume. Un règne qui tourne mal puisqu’une amnésie générale est appliquée à l’ensemble de la population. La note de légèreté, nécessaire en cette rentrée assez sombre, se trouvera dans La rentrée n’aura pas lieu (Don Quichotte) un roman de Stéphane Benhamou. Il y raconte comment, face à la crise et au terrorisme, 11 millions de vacanciers du mois d’août décident de sécher la rentrée et de rester en vacances. P. L.