Marie-Hélène Lafon, L’annonce (Buchet-Chastel), pour son réalisme sec comme la terre du Cantal, la beauté d’un paysage vide, dépouillé - l’ailleurs originel - contemplé au travers de trois grandes fenêtres, une bande verte, un ciel d’orage ; les oncles et la soeur, Paul le frère, l’homme de la maison, Agnès et son fils Eric, une autre vie, parce qu’il faut bien qu’il y en ait une, et une véritable langue, sûre et précise. Chloe Hooper, Grand homme (Editions Christian Bourgois), sur les parois d’une grotte une longue silhouette teintée, un meurtre en détention, pas clair, procès, on suit, on enquête avec elle. C’est en Australie, la victime est aborigène, le policier est blanc, les aborigènes ont été parqués dans une île et privés de droits, l’homme blanc, de nos jours, s’est intégré pourtant, quel est ce peuple de colonisateurs dans lequel je vis, et comment vivent-ils ? Le Serpent Arc-en-Ciel, le récit fondateur - si la parole n’est pas répétée - est perdu, mais encore présent. Dans le document, l’auteur s’absente, on oublie qu’on attend le verdict, on rencontre, on voyage. C’est la vie d’une famille, la violence et l’alcool qui hantent les corps, l’esprit qui ne cesse de déchiffrer une histoire. Il y a La vérité sur Marie , de Jean-Philippe Toussaint (Editions de Minuit) où l’on sent la pluie sur un cheval enfui, la terre incendiée, les chocs du métal dans l’air, et cet amour qui traverse le temps et les lieux, pour s’épanouir peut-être enfin en plein coeur du désastre monde. Et de très bons premiers romans : Nouveaux Indiens , de Jocelyn Bonnerave (Editions du Seuil), que l’on garde en tête pendant plusieurs jours, manger, manger, lire de la musique comme on l’entend, est-ce que je regarde les autres, est-ce que je fais comme les autres ? Le terrifiant Cadence de Stéphane Velut (Editions Christian Bourgois), qui instille sous-entendus et ellipses, polysémie, et pourtant une histoire toute simple, un homme qui doit peindre une petite fille, un tableau à la gloire du Reich, un costume comme une seconde peau, le brouillard, le brouillard de Munich en 1933, et bientôt, un rat. Et donc le témoin. Jan Karski (Yannick Haenel, chez Gallimard). Celui qui a vu, qui a tenté de transmettre ce qu’il a vu. Cela se passe en Pologne. Le pays est envahi par les nazis, il y a le ghetto de Varsovie. Des hommes sont venus. “Alors ils me délivrèrent leurs messages (...) And then they gave me messages .” Je suis celui qui reçoit la parole et la transmets, celui qui est traversé, et de ce courant naît ma propre vie. Ici errent des hommes qui ne sont plus des hommes, des morts-vivants, que d’autres hommes vont bientôt transformer en fantômes. Il doit alerter le monde. Il est écouté. Il n’est pas entendu. On ne saura pas, avant l’heure, on ne veut pas savoir, on ne veut pas croire. On ne peut pas le croire. On se dit que ce n’est pas possible, que ça n’existe pas. Si, ça existe. Le témoin. Un auteur. Les messages. Une famille qui s’installe. Des êtres meurtris dans un Grand Rêve. Les intermittences d’un coeur. La chair et la musique. Une métamorphose.