Dans une critique de 1974, Pier Paolo Pasolini juge l'écriture de Mario Soldati "totalement dépourvue de viscosité : elle n'accroche pas, n'adhère pas, ne colle pas au lecteur", dit-il d'un écrivain dont l'arme la plus efficace est selon lui l'astuce. A ses yeux, L'émeraude constitue "l'un des joyaux les plus beaux que la littérature italienne ait inventés ces dernières années".
Ceux et celles qui le liront s'apprêtent à entreprendre un sidérant périple littéraire. Le narrateur est un écrivain, Mario, qui cède toujours à "la tentation de raisonner par adjectifs". Comme Soldati, il est marié en secondes noces, écrit des nouvelles, des romans et fait du cinéma. Notre homme a réussi, il arbore au poignet une Rolex. Le voici de retour, quarante-cinq ans plus tard, à New York où il a vécu de 1929 à 1932, après un séjour à Austin, Texas. Il se trouve en compagnie d'une femme qui, "comme toutes les épouses, excelle dans la tâche d'exorciser les fantômes".
Dans Fifth Avenue, Mario croise un citoyen belge aux origines italiennes et imagine qu'il a eu "affaire à lui au cours d'une autre vie". Count Cagliani promène son chien, un énorme danois couleur gris perle. Il mesure presque deux mètres, possède une allure et des manières qui évoquent "une vieille tante ou un vieuxmaquereau». Au lieu de passer une soirée tranquille à l'hôtel avec madame devant la télévision, l'écrivain saute dans le "subway" afin de se rendre à l'invitation de Count Cagliani.
Dès lors, rien ne sera plus normal pour Mario. Il sera ici question de télépathie, d'une émeraude. D'un vieux village croulant, Saorge, et de son hôtel du Puy. Etablissement où l'on fait de curieux rêves. Rêves où Mario est pris pour un certain André Tellarini, "peintre de paysages postimpressionnistes". Avant d'entamer un voyage dans le temps, de traverser "la Ligne" pour se confronter à son passé...
Envoûtant et déroutant, L'émeraude est le plus singulier des romans de l'auteur du Père des orphelins (Folio).