Dans sa vie antérieure, Damya a été une danseuse inspirée, pour qui le chorégraphe Egor, réfugié bosnien, avait façonné le rôle de Galateia. Hélas, sa Galatée a été prise dans les attentats de novembre 2015 et, mitraillée à la terrasse d’un café près du Bataclan, en a gardé les séquelles : elle boite, et ne pourra plus jamais danser, ou alors de façon très particulière. Avec un jongleur juif polonais, par exemple.
Pour s’occuper, tenter d’oublier, se reconstruire doucement, elle fait divers petits boulots. Comme, un jour, réaliser le casting pour un film, à la recherche de cent figurants interprétant les rescapés des camps de concentration, de retour à Paris. Il les faut maigres, très maigres, et en "mauvais état" physique. Damya va donc se mettre en quête, partout dans Paris mais plutôt dans des endroits populaires, voire dans des cours des Miracles qu’elle connaît ou découvre, de ces acteurs d’un moment, rémunérés 100 euros par jour de tournage. Sur sa route, cette femme de cœur, pleine de compassion, va faire de belles rencontres, comme Amalia, l’ancien mannequin anorexique de la gare Saint-Lazare, Nathaniel, le jeune étudiant (maigre) en écologie comportementale, ou encore Matheo Lothar, le sculpteur alcoolique lové dans sa péniche du quai de la Tournelle, qui laisse inachevée sa statue de sa Desdémone, disparue. Lui est hors casting, mais un lien fort s’est créé entre eux. Elle posera pour lui. Elle croisera aussi, dans ses pérégrinations, un certain Amir, sans se douter qu’il pourrait être l’un des auteurs des attentats qui ont brisé sa vie et sa carrière. Ce qui lui vaudra des ennuis, un moment, avec la police. Naturellement, Damya culpabilise un temps : faire jouer des déportés par des cabossés de la vie pourrait passer pour de l’indécence. Mais elle vaincra ses scrupules, accomplira sa mission jusqu’au bout et assistera même au tournage, bouleversée. Ensuite, elle se sentira bien vide. Et il faudra une sorte de miracle pour qu’elle rebondisse.
Dédié "aux disparus d’hier et d’aujourd’hui", Casting sauvage est un livre hanté, halluciné, où le Paris des bas-fonds est montré comme rarement. Avec toute la poésie et l’empathie humaine dont Hubert Haddad a le secret. J.-C. P.
