Qu’on me pardonne cette petite excursion en dehors des terres virtuelles des nouvelles technologies, mais je voudrais revenir sur la photo officielle du nouveau président de la République, qui sera placardée pour cinq ans dans toutes les mairies. On a déjà beaucoup glosé sur ce cliché dans la presse, les anti- comme les pro- sarkozy s’accordant pour dire qu’elle était ratée, et ce pour diverses raisons. Notamment, cette idée bizarre d’avoir posé dans la bibliothèque de l’Elysée, alors qu’on ne connaissait pas Nicolas Sarkozy comme un lecteur, qu’il n’a du reste jamais cherché à donner cette image de lui, et que si son nom figure sur des livres programmatiques, il n’est pas certain qu’il les ait écrits de la première à la dernière ligne. Mais passons. Cette photo m’en rappelle irrésistiblement une autre : celle du baron Seillère, dans Paris Match, lorsqu’il s’était emparé d’Editis. Il avait posé, pour l’hebdomadaire, devant la bibliothèque du château familial. Dans les deux photos, la toile de fond est rigoureusement la même : des livres soigneusement alignés, dorés sur tranches, qui de toute évidence dorment là depuis longtemps et ne donnent pas l’impression d’être jamais tirés de leur sommeil. Quand, s’agissant du baron Seillère, on vient de mettre la main sur le deuxième groupe d’édition français, qui publie, toutes filiales confondues, des milliers de titres nouveaux par an, cette absence flagrante du moindre livre récent en arrière plan ne manquait déjà pas d’étonner. Pour Nicolas Sarkozy, elle fait encore plus question. François Mitterrand, aussi, avait posé dans la bibliothèque de l’Elysée. Sauf qu’il était assis, et qu’il tenait un livre ouvert dans les mains — bon, d’accord, on aurait pu trouver plus actuel que les Essais de Montaigne, mais enfin le symbole était là : le président était montré comme interrompu dans sa lecture. Le pouvoir s’abreuvait du savoir, et le savoir passait par le livre. Là, rien. Ces livres exhibés ici sont comme des livres morts, figés pour composer un beau décor. On devine que l’objet livre garde encore, aux yeux du nouveau dépositaire du pouvoir républicain, une forte image statutaire. Comme le costume-cravate qu’il porte sur lui. Ces livres, au fond, ne sont que le costume-cravate des murs de la photo officielle du quinquennat. Mais le pouvoir, désormais, s’exerce autrement. Cf l’image du président joggant, en short et tennis, diffusée à l’envi les premiers jours de sa prise de fonctions et dont Alain Finkielkraut, dans une envolée sidérante que pour une fois on ne pouvait qu’applaudir, a parfaitement démontée sur le plateau de Mots Croisés . Le message de cette photo officielle, il est là, à mon sens : nous assistons à une mutation, dans laquelle le pouvoir ne passe plus ni par le savoir, ni par les livres. Au mieux, aujourd’hui, un livre n’est qu’un produit de divertissement susceptible de dégager du cash flow. On comprend alors que les intellectuels qui les produisaient ne font même plus peur. * * * Question subsidiaire : au fait, il y a quoi, dans la bibliothèque de l’Elysée ? Des trésors de bibliophilie ? Des trésors tout court ? Ou une simple bibliothèque bourgeoise, joliment reliée ?