Largué, après cinq ans. Normal, leur couple battait de l’aile : «Qui peut prétendre se montrer surprenant, ou ne serait-ce qu’intéressant, cinq ans d’affilée ?» Mais, largué, Léo l’était déjà bien avant que Florence ne le quitte. Léo, 35 ans, est de ceux qui ont toujours flotté sans couler. Ce qui n’empêche pas une vague sensation de naufrage. A l’hôtel où il a provisoirement emménagé, il ne voit que deux solutions : soit rentrer à la maison et sombrer dans une léthargie profonde, soit mettre le feu à son appartement avant de tirer sur tout ce qui bouge. «Je me disais qu’avec un peu de chance je pourrais trouver un compromis entre les deux. Je me disais que plus vraisemblablement, je ne choisirai rien.» C’est dans ce rien que l’auteur d’Entorse, Philippe Mathieu, fait tenir tout son livre. Rien qui n’est autre que le sempiternel atermoiement de son protagoniste trentenaire, rien du vide existentiel où tout un chacun se débat plus ou moins vaillamment pour remplir sa vie d’amour et de projets. En guise de rien, pourtant, l’auteur de ce «premier roman» - la nomenclature est trompeuse tant le récit est maîtrisé - nous offre un périple vers le Sud avec moult péripéties et une fine anatomie des sentiments. Adieu vie de bureau à Paris, direction Palavas-les-Flots ! Léo s’en va rejoindre Mathilde et Pierre. Pierre, son ami d’enfance, et Mathilde, une ex (juste avant Florence), et à vrai dire son premier et unique amour. Le chagrin instinctif de la récente séparation est bien vite chassé par le regret de ne s’être jamais remis avec celle qu’il avait rencontrée, adolescent, à la piscine, celle que son «meilleur ami» lui a piquée. La perte de Mathilde, la peintre, blonde aux belles rondeurs, n’a jamais été palliée par le désir de Florence, la businesswoman, séduisante brune tout en angles. Son couple d’amis part en vacances. Léo ne peut pas rester, sauf à trouver une excuse. Le chat d’une collègue de Pierre, que ce dernier devait garder, est le parfait alibi. Pierre donne même au cat-sitter le numéro de Charlotte, la propriétaire du félin, partie à Aix-en-Provence au cas où il en aurait marre et voudrait le lui rendre. L’amour de Léo pour les chats est limité, et le voilà débarquant à Aix à la rencontre de la maîtresse de l’animal. Mais Charlotte n’est pas disponible et guère pressée de le récupérer. Entre-temps, Léo, qui n’a plus l’intention de rentrer à la capitale, trouve un job de serveur dans un restaurant.
Philippe Mathieu relate bien plus que les tribulations d’un antihéros de notre temps et ourdit au-delà des intrigues amoureuses un subtil réseau de questionnements sur soi et les autres. Des pages bien senties nous emportent vers l’enfance du narrateur, endeuillée par un père disparu sans tombe. Le chagrin d’amour masque parfois le chagrin tout court, originel, premier - manque qu’aucun amour ne comble. Mais chaque fois on y croit. Contre la règle, l’entorse. Sean J. Rose