En aurait-il fumé ? De quoi ? Des champignons, bien sûr ! Patrick Reumaux sourit. Il avoue avoir une fois consommé la partie hallucinogène de l’amanite tue-mouches. « Mais ne comptez pas sur moi pour vous l’indiquer. » Dans sa maison de Semuy, en Argonne ardennaise, le mycologue redevient poète. Un rêveur excentrique, qui saute de sa passion pour les mouches aux yeux verts - ce sera pour un prochain livre - à celle pour les russules, cortinaires, inocybes et autres bolets fatals. « L’autre versant de la mycologie, c’est la poésie. »
Lui qui a identifié et nommé une cinquantaine de champignons dans des revues spécialisées refuse les étiquettes. « Je fais tout pour ne pas être repéré, pour être à côté de ce qu’on croyait que j’étais. Cela me permet de ne pas répondre aux questions. Quand on interroge l’écrivain, je dis que j’écris un traité sur les russules ! » Impossible de prétendre faire le chat chez Reumaux comme chez Mallarmé. Le chat, c’est lui ! Indépendant, toujours en quête d’un endroit où aller.
Singulières cueillettes.
Il est arrivé dans les Ardennes grâce à André Dhôtel, son professeur de philosophie, auteur merveilleux et natif de la région qui consacra un chapitre au « vrai mystère des champignons » dans sa Rhétorique fabuleuse. « Il aimait les cancres parce qu’ils regardent ailleurs. » Reumaux, qui fut professeur des sciences de l’information et de la communication à l’université de Paris-13, a suivi l’exemple. « Je reste captivé par des choses qui n’intéressent personne. » Comme les yeux verts d’un jeune homme. « J’avais 8 ans, c’était à Alger dans le jardin de ma mère, sur les hauteurs d’El Biar. Il avait une présence formidable. Mais peut-être que j’ai rêvé… » De cette enfance, il a tiré en 2010 un joli petit livre aux éditions Vagabonde, Les dieux habitent toujours à l’adresse indiquée.
Mais pourquoi les champignons ? « J’ai horreur de ne pas savoir. Quand je m’intéresse à un sujet, je l’explore à fond. Et avec les champignons, c’est presque sans fin. » Mais pourquoi les champignons mortels ? « Parce que ça fait peur ! Parce que c’est tragique ! » Donc littéraire, évidemment. Au début de sa carrière - il est né en 1942 -, ce trompettiste de la mort chassait plutôt le criminel bipède comme celui de l’Oise (Le valet de peur) ou le curé d’Uruffe (Le cher corbeau délicieux). Puis il trouva bien plus dangereux dans les bois près de chez lui. « Quand les symptômes apparaissent, il est souvent déjà trop tard… »
Nabokov et ses papillons, Jünger et ses scarabées, la littérature a quelquefois croisé le chemin du muséum. Rarement celui des champignons et des mouches. C’est pourtant dans ces obsessions que l’on trouve les esprits les plus originaux. Et comme les mycologues ont tendance à travailler du chapeau, Patrick Reumaux est servi. Il se souvient d’une sommité dans ce domaine, Henri Romagnesi. « Un type bizarre. Chaque jour, il se faisait cuire un steak de 150 grammes, cinq minutes sur chaque côté. » Le savant lui aussi devait être bien cuit…
L’autre versant de Reumaux, c’est la traduction : Sheridan Le Fanu, Mervyn Peake, Flann O’Brien, John Cowper Powys, Dylan Thomas ou Ronald Firbank. C’est l’immense Pierre Leyris qui lui avait conseillé de se lancer dans l’aventure. « Je lui avais répondu que je ne parlais pas l’anglais. Il m’a dit que ce n’était pas important. Il fallait lire, beaucoup lire. J’ai suivi son conseil et j’ai traduit Emily Dickinson, Dorothy Parker... Quand je traduis, je cherche moins la fidélité scrupuleuse au texte qu’à devenir l’auteur. Pendant quelques mois, je fus ainsi Emily Dickinson ! » Il a expliqué cela dans Histoires de visages (Teraèdre, 2004).
Comme il a ses coins à champignons, Patrick Reumaux a aussi ses coins à littérature : Dhôtel bien sûr, mais aussi Paulhan, Henri Thomas, Michaux, sans oublier ceux qu’il traduit de l’anglais ou de l’italien comme le poète Lucio Piccolo, le cousin du Guépard. Des cueillettes subtiles et singulières dont on retrouve la diversité sur la page que lui consacre la librairie Elisabeth Brunet (www.librairie-elisabeth-brunet.fr/Reumaux.htm). Des champignons, il n’en mange plus depuis des années… Mais il annonce avec gourmandise que la saison va bientôt commencer. C’est sûr, comme on dit dans les forêts à l’automne, « il va y avoir du spore »…
Laurent Lemire
Les tueurs, Patrick Reumaux, illustrations de Xavier Carteret, Klincksieck, 160 p., 99 euros. ISBN 978-2-252-03907-6. Sortie : 23 septembre.