Filles et garçonnes. Alors que de nombreux auteurs de BD américains de l'entre-deux-guerres font figure de classiques (George Herriman, E.C. Segar, Frank King, Ernie Bushmiller...), leurs consœurs n'ont pas connu la même postérité. Ce sont quelques-unes d'entre elles que la grande autrice féministe et historienne de la BD Trina Robbins, décédée en avril dernier, présente dans cette copieuse anthologie Garçonnes, les autrices oubliées des Années folles.

Aux États-Unis, les années 1920 marquent l'avènement de la flapper, ou garçonne, jeune fille indépendante, insouciante, qui fume et boit (en cachette, la Prohibition ayant été votée en 1919). De nombreuses autrices célèbrent alors ces femmes modernes et évoquent leur mode de vie, réel ou fantasmé. L'une des plus célèbres est certainement Nell Brinkley, par qui débute Garçonnes. Brinkley a commencé sa carrière comme dessinatrice de presse en 1907. Elle se lance dans la bande dessinée en 1925 avec Les aventures de Prudence Prim, récits en une page écrits en vers par l'autrice de polars Carolyn Wells. Jeune fille naïve qui « rêvait d'aventures sauvages », Prudence quitte sa campagne pour New York. Elle y découvre les plaisirs des jeunes citadines aisées de son époque - cinéma, salons de beauté, sorties encanaillées... Pour représenter cette émancipation, Nell Brinkley crée une mise en page spectaculaire, sans case. Ses dessins sont extrêmement élégants, rappelant les gravures de Louis Icart à la même époque. Les visages sont mutins, les vêtements et accessoires somptueux, formant une véritable encyclopédie illustrée de la mode des roaring twenties.

L'anthologie, dont on regrettera les approximations de traduction, met ensuite à l'honneur Eleanor Schorer, au dessin plus sobre ; Edith Stevens et sa page sur la mode et l'air du temps Nous les nanas ; Ethel Hays, au style épuré, d'une grande modernité ; Fay King, pionnière du strip autobiographique ; Dorothy Urfer et ses strips humoristiques ; Virginia Huget et ses BD publicitaires pour les savons Lux...

Dans ces œuvres gaies, enjouées, malignes, les héroïnes sont certes des filles qui se prennent en main, mais qui en ont les moyens financiers et qui malgré tout finissent souvent par se ranger avec le fidèle boyfriend. Ici, pas de suffragettes des classes populaires. Si le discours n'est pas particulièrement féministe, il n'en reste pas moins que ces BD et leurs autrices, livrant un témoignage précieux et graphiquement superbe sur les aspirations des jeunes femmes d'alors, méritaient bien d'être redécouvertes.