La disparition de Jorge Semprun laisse donc un couvert vacant chez Drouant. Le temps de décence passé, nul doute que les prétendants à sa succession entameront bientôt leur valse de séduction auprès des autres jurés. Mais on peut déjà parier qu’ils ne seront pas très nombreux. Une récente enquête de l’Express jetait une lumière crue sur le — très — petit monde des jurés littéraires français ( L’Express du 19 mai). Une grosse poignée de personnalités de la profession se partage tous les postes clés, comme l’attestent les quelques exemples — Jean-Marie Rouart, Franz-Olivier Giesbert, Eric Neuhoff… — mis en exergue par cette enquête. On le savait plus ou moins, bien sûr, mais jamais un tel cumul n’avait été étalé sous nos yeux de manière aussi flagrante. «  On vit dans un monde incestueux  », reconnaissait d’ailleurs Jean-Marie Rouart.   Frédéric Beigbeder appartient désormais à cette famille infernale, puisqu’il siégeait déjà au Prix de Flore, au Cercle littéraire, au Fitzgerald, au Littéraire Lucien Barrière, au prix Sagan et maintenant, au Renaudot. En attendant d’autres maroquins… Interrogé par l’hebdomadaire, l’auteur de 99 francs s’en réjouissait : «  C'est génial, non ? de déjeuner dans des bons restaurants sans payer. Moi, ma devise, c'est TSE - "Tout sauf l'ennui." Alors, alterner les repas avec les intellectuels et les soirées avec les fêtards, s'attabler avec un Prix Nobel [Le Clézio] et le patron du Point (le Renaudot, ambiance beaucoup plus rigolote que je ne le pensais) et dormir sur la Côte en lisant des livres frivoles et romantiques (le Fitzgerald), quoi de mieux ?  »   A l’aune de ces déclarations, je conçois que s’asseoir sur une mauvaise chaise pour donner un entretien à Livres Hebdo , qui n’offre ni le gîte, ni le couvert, puisse passer pour le summum de l’ennui. L’idée n’était peut-être pas grandiose, mais enfin elle ne paraissait pas non plus complètement idiote : proposer à Philippe Lançon, le critique de Libération , récent lauréat du Prix Hennessy du journalisme littéraire, et à Frédéric Beigbeder de s’asseoir autour d’une table, pour les faire parler — justement — des prix littéraires, de la création littéraire, de la rentrée littéraire, etc. Le premier doit publier un roman à la rentrée chez Lattès. Le deuxième annonce chez Grasset son «  panorama des 100 œuvres qu’il souhaite garder pour le XXIè siècle  » ( Premier bilan après l’apocalypse ). Côté Lançon, ça semblait très jouable. Mais l’idée n’a pas dépassé le barrage de l’attachée de presse Grasset qui nous a répondu, en termes peu amènes, et à peu près en substance, que «  c’était du n’importe quoi de mélanger des livres qui n’ont rien à voir  », que Frédéric Beigbeder était occupé ailleurs (à se désennuyer, sans doute) et qu’il ferait «  très peu de promotion  » (j’imagine qu’il fallait comprendre : à part Match , le Grand Journal et deux ou trois autres télés, rien).   Si j’étais méchant, je dirais que c’était finalement une mauvaise idée d’avoir pensé à Beigbeder pour le journal des libraires, alors qu’il est plutôt un écrivain pour Fnac et hypermarchés, qui ne nous pond plus aujourd’hui que des livres type « soirée du samedi sur TF1 » (« Les 100 plus grands » ceci, « Les 100 incontournables » cela…). Mais je passerais aussitôt pour un mauvais joueur et un aigri. Ce que je suis peut-être, du reste. Une chose est sûre : si j’avais fait ce métier pour subir le diktat de faiseurs en communication, j’aurais été travailler du côté de la télé ou du show-bizz. Pas dans les livres. ***   Post-scriptum qui n’a rien à voir  : après les propos de Luc Ferry, qui a mis en cause, sans le nommer, un ministre qui se serait rendu coupable d’actes pédophiles, l’ancien ministre de l’éducation du gouvernement Raffarin a reçu une volée de bois vert de la classe politique, tous bords confondus. Ce qui est légitime en l’occurrence : on ne lance pas ainsi des accusations en l’air. Soit il donnait un nom, soit il la fermait. Mais parmi toutes les réactions, une m’a franchement surpris : «  Il a raisonné en homme de lettres  », a commenté le député UMP Claude Goasguen, sans donner plus de détails, sinon que «  Luc Ferry était un bon philosophe  ». J’avoue ne pas avoir compris. Si quelqu’un peut m’expliquer en quoi les raisonnements des littéraires seraient, par essence, plus farfelus que ceux du commun des mortels, je suis preneur…  
17.10 2013

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