Néhémy est habituellement un prénom de fille. Il désigne un prophète faisant émerger la paix par la puissance du verbe. C’est exactement ce qui anime ce primo-romancier, aussi généreux à l’écrit qu’à l’oral.
Petit dernier de sa famille, il grandit dans un quartier populaire de Port-au-Prince. "On vivait en communauté, en partageant la gaieté et les difficultés. Mon enfance a été tissée de douceur, de rires et de tensions." Toutes les nuits, il est bercé par les lectures bibliques de son père, pasteur. "Les récits mythiques, les contes, les chants d’espérance et la poésie m’ont conduit vers la littérature. Homme je suis, mais j’aspire à être écrivain."
Alors il met le cap sur Paris, où il étudie la philosophie tout en faisant chanter sa plume. Ses modèles ? Gide, Koltès, Frankétienne, Saramago et Gabriel García Márquez, auquel il emprunte parfois l’univers imaginaire. Si Néhémy "se conçoit en écrivain haïtien, français et universel", il continue d’être un enfant du pays. Haïti a encaissé beaucoup de coups, "mais sa plus grande injustice est d’être stigmatisée en victime". Aussi Rapatriés, le premier roman bouleversant de Néhémy Pierre-Dahomey, lui offre-t-il un autre visage.
Danse de souffrance
On y suit Belli, une mère de famille haïtienne rêvant de rallier les côtes américaines. La mer meurtrière l’oblige à faire un geste désespéré. Ramenée au bercail, l’héroïne est confinée avec les siens sur un lopin de terre destiné aux clandestins échoués. Ce quartier nommé "Rapatriés" ne ressemble guère au paradis, mais Belli et ses petits y sèment des graines de joie, d’amour et de vie.
"Mes personnages sont comme des âmes qui portent mon souffle, assure Néhémy. Enfant, je voyais ces boat people rescapés. Le monde connaît désormais une nouvelle migration, or il le nie. Mon but n’était pas d’aborder l’actualité, mais d’incarner ceux qu’on réduit à des chiffres." Néhémy est souvent traité de "justicier car [il est] sensible aux minorités et aux opprimés". La pauvreté est la matrice de ses héros, mais elle n’enlève rien à leur force créatrice.
Langue mélodieuse
"J’aime la dignité des petites gens. En Haïti, la solidarité nous lie. Les femmes nous révèlent qu’il faut persévérer dans la vie. Mes héros pallient les difficultés par la filiation. Ils doivent dépasser leur douleur pour exister", or celle-ci peut les entraîner dans la folie. "Elle incarne un mystère, un jeu d’ombre et de lumière." Néhémy les saisit au rythme d’une langue mélodieuse. "Ce premier roman symbolise un début et un aboutissement." Et il dévoile un talent à suivre.
Kerenn Elkaïm
Néhémy Pierre-Dahomey, Rapatriés, Seuil. Prix : 16 €, 192 p. Sortie 5 janvier. ISBN : 978-2-02-134451-6