Confessions d'un europhile anglais. Cela fait cinq ans cette année que le Royaume-Uni est sorti de l'Union européenne. Le Brexit a eu lieu après une polarisation extrême dans la société et des déchirements au sein des familles et du parlement. Même si aujourd'hui l'opinion outre-Manche s'est retournée contre la décision de partir et que l'économie britannique a su résister mieux que prévu, la croissance eût été plus forte si la Grande-Bretagne était restée dans l'UE. Pour le professeur d'études européennes à Oxford et chroniqueur au Guardian, Timothy Garton Ash, le Brexit aura été le pire acte d'automutilation que sa patrie ait pu s'infliger...
Mais de quelle Europe parle-t-on au juste ? L'auteur d'Europes. Une histoire personnelle prévient que se le demander, c'est un peu vivre le quiproquo dont on a tous pu faire l'expérience dans une réunion « où une autre personne porte le même prénom que vous » et que, sur le point de donner votre avis, vous vous rendez compte que c'était à votre homonyme que s'adressait la question. Et Timothy Garton Ash de préciser qu'avec l'Europe, c'est « pire, parce qu'il y a au moins quatre Europes différentes autour de la table ». L'auteur les passe en revue. D'abord, l'Europe comme « notion géographique », ainsi que la réduisait l'unificateur de l'Allemagne Bismarck. Encore que, à l'Est et au Sud, ses frontières s'étirent de manière bien floue : s'arrêtent-elles à l'Oural ? Au Caucase, et où ? Englobent-elles la Turquie ? La deuxième Europe est son « cœur historique qui coïncide à peu près avec les territoires jadis dirigés par Charlemagne », ce qui discrimine ces Européens qui ne sont pas de la partie occidentale du continent. L'Europe dans sa troisième acception est celle des valeurs, de nos jours remise en cause par le Sud global et par nombre d'Européens eux-mêmes, assimilée jadis à l'Europe blanche, chrétienne, mâle, qui au nom de sa censée mission civilisation colonisa le monde. Enfin, « la quatrième Europe à cette table où la conversation est déjà animée, est celle de l'organisation institutionnelle des États européens ». Pour la majorité des Européens, elle est désormais synonyme d'Union européenne.
L'analyste sagace qu'est Garton Ash, qui au cours de sa carrière a rencontré maints acteurs politiques européens de premier plan, ne se contente pas ici de retracer une histoire du projet de coopération et de rêve de paix né à la suite de la Deuxième Guerre mondiale jusqu'au conflit en Ukraine. Il cerne les enjeux à venir du bloc européen, ses difficultés - un certain déficit démocratique, l'inflation normative, le sentiment d'une immigration incontrôlée qu'éprouvent de plus en plus de peuples de l'UE. Même si l'Europe n'est pas parfaite, l'auteur avoue, pour paraphraser Churchill, qu'il s'agit de la pire Europe à l'exception de toutes les autres. Et on goûte l'intelligence de l'essai de cet europhile anglais, mêlant vue synoptique et mémoires intimes - de l'odeur des Gauloises de ses premiers séjours en France à l'histoire d'amour avec la Pologne dont il épousa une ressortissante... Lire Europes de Timothy Garton Ash nous console un peu du Brexit.
Europes. Une histoire personnelle
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Traduit de l’anglais par Emmanuelle et Philippe Aronson
Tirage: 2 000 ex.
Prix: 26 € ; 624 p.
ISBN: 9782234097193