Avant-critique Manga

Tadao Tsuge, "Contes du caniveau" (Cornélius)

Contes du caniveau, P. 97 - Photo © Tadao Tsuge/Cornélius

Tadao Tsuge, "Contes du caniveau" (Cornélius)

Tadao Tsuge, frère de l'influent mangaka Yoshiharu Tsuge, est lui aussi auteur d'une œuvre essentielle, entre autobiographie et chronique sociale.

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Par Anne-Claire Norot
Créé le 15.02.2024 à 09h00 ,
Mis à jour le 15.02.2024 à 19h29

Des vies dans les marges. Dans la famille Tsuge, il y a Yoshiharu, le mangaka reconnu et influent, pionnier du manga autobiographique et onirique. Il y a aussi sa femme, Maki Fujiwara, actrice de théâtre, autrice et dessinatrice, dont l'œuvre est inédite en français. Et puis il y a Tadao, né en 1941, le jeune frère de Yoshiharu. Moins connu que son aîné, Tadao a pourtant été auteur dès 1968 pour le magazine de manga pour adultes Garo, mais il a connu une carrière artistique en dent de scie, entrecoupée de divers petits boulots. Il a notamment travaillé à plusieurs reprises dans une banque de sang, une expérience qui va le marquer à vie et qu'il relate dans « La cour des miracles », l'un des récits de Contes du caniveau qui réunit des œuvres publiées entre 1969 et 1974. Cette « Cour des miracles », où l'on découvre les combines miteuses de pauvres gens qui comptent sur la vente de leur sang pour gagner quelques centaines de yens, est à l'image du reste de l'album : sombre, âpre, grinçante, dure. Les histoires de Tadao Tsuge relatent des choses que l'auteur a vues et éventuellement vécues, parlent de gens qu'il a croisés, et s'apparentent au moins autant à la chronique sociale qu'à l'autobiographie. D'un dessin simple et plus brut que celui de son frère, avec un minimum de décors mais des personnages expressifs, Tadao Tsuge met en scène les laissés-pour-compte des années 1960-1970, les exclus du boom économique, les vétérans, les petites frappes, les prostituées, les escrocs à la petite semaine, des personnes brisées sans morale ni repères. Des enfants aussi, abandonnés par leurs parents (« La vieille femme ») ou brutalisés, comme le petit Toméo, maltraité par son père et son grand-père (« Élégie pour l'ère Showa », récit inspiré par l'enfance pauvre de l'auteur dans les rues chaudes de Tokyo). La misère et la violence (dans les familles, mais aussi dans la rue, envers les animaux...) sont omniprésentes, tout comme le sexe. « La noirceur des mangas de Tadao Tsuge est le reflet du milieu où il a vécu, enfant et adolescent », explique son frère Yoshiharu dans une postface de 1984. Tadao Tsuge a eu l'immense talent de tirer de ses expériences des histoires poignantes, aussi prenantes qu'éclairantes sur l'histoire des marges de son pays. Il était temps de le faire sortir de l'ombre de son frère.

Tadao Tsuge
Contes du caniveau
Cornélius
Tirage: 3 500 ex.
Prix: 26,50 € ; 248 p
ISBN: 9782360811755
15.02 2024

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