Ce sont les étapes d'une histoire méconnue et passionnante que raconte Marie Kock : comment le yoga a conquis la planète. Pas besoin d'avoir fréquenté les tapis, d'avoir exécuté la moindre salutation au soleil ou de maîtriser le sirsasana, la posture sur la tête, chouchou des débutants et des instagramers, pour s'intéresser à cette histoire qui se lit comme une aventure culturelle emblématique de notre temps. Même si on observe avec un scepticisme ricanant cet engouement qui de loin peut paraître une mode pour Occidentaux déboussolés, on découvrira dans cet essai-récit une histoire qui croise la religion, la philosophie, l'économie, la médecine, la géopolitique... dont les enjeux dépassent la simple quête de bien-être et de sens d'humains en mal de spiritualité. 300 millions de pratiquants dans le monde, dont 2,5 millions en France : ce n'est pas anecdotique.
Avec une triple casquette de journaliste, de pratiquante et d'enseignante, Marie Kock livre une enquête en immersion et participative, où elle interroge chercheurs et disciples pour envisager le yoga dans toutes ses postures et parfois ses impostures. Entre expérience directe, intérêt bienveillant et distance critique, elle n'élude aucun aspect, aucun point sensible : le yoga business, juteux filon, le yoga thérapeutique rééducateur voire miraculeux, le yoga starisé, le yoga standardisé, fantasmé... Les textes fondateurs et le folklore, les gourous controversés et les grands maîtres, les emballages mystico-new âge, le grand « mélange ésotérique », les problèmes de copyrights, la relation à la performance... Les ambiguïtés, les paradoxes, mais aussi la richesse, la plasticité d'une pratique qui est loin de pouvoir être réduite à une gymnastique. Particulièrement édifiante est l'histoire des torsions subies par la discipline pour être Occident compatible. Un double mouvement s'est opéré au début du XXe siècle, depuis son berceau, l'Inde, vers l'Ouest, l'accueillante Californie, alors que le yoga était en perte de vitesse en Inde, puis le retour au terroir d'origine à partir des années 1960. Avec pour conséquence l'évolution vers un yoga moderne exportable dont la large diffusion a assuré la survie. Une forme de régénération. L'authenticité - sorte d'India credibility, comme la street-credibility dans le rap - est une grande question. Très instructive aussi, l'approche de la dimension idéologique, le lien avec le colonialisme, le nationalisme hindou contemporain, l'instrumentalisation politique du yoga pour affirmer la supériorité de la civilisation hindoue sur le reste du monde et sur les minorités chrétiennes et musulmanes, qui bousculent les clichés d'une ancestrale sagesse « peace and love ».
Ce voyage de Mysore à Essaouira, de Los Angeles à l'université Loyola Marymount, qui délivre depuis 2013 un master de Yoga studies, de Paris à Rishikesh « capitale mondiale du yoga », construit une très complète histoire critique du yoga, alerte et pédagogique, qui remplit parfaitement l'objectif fixé par Marie Kock au début de l'enquête : « D'une certaine façon, l'histoire du yoga est assez semblable à celle de la pizza napolitaine : ancienne, locale mais aussi faite d'emprunts, plurielle, codifiée sur le tard, mondialisée puis réancrée dans une tradition réinventée. En voulant raconter le processus de diffusion mondiale du yoga, j'ai fait le pari de la pizza napolitaine. Celui de croire que connaître son histoire ne m'empêchera pas d'en apprécier les saveurs.»
Yoga, une histoire-monde
La Découverte
Tirage: 5 000 ex.
Prix: 21 euros ; 256 p.
ISBN: 9782707198969